• La vie intérieure de Martin Frost

Publié le par 67-cine.gi-2007













La vie intérieure de Martin Frost fantastique de Paul Auster




avec :
David Thewlis, Irène Jacob, Michael Imperioli, Sophie Auster et Griffin Dunne

durée : 1h33
sortie le 14 novembre 2007

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Synopsis
Martin Frost, auteur à succès, vient de publier un livre quand il décide de se retirer quelques temps dans une maison de campagne.
En se réveillant le premier jour, Frost, surpris, découvre une femme allongée à ses côtés.
Qui est cette femme mystérieuse qui connaît si bien sa vie et son oeuvre ?
Fasciné par sa beauté et son intelligence, Martin se passionne pour elle et pense avoir rencontré sa muse…


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Entretien de Paul Auster (
réalisé le 22 août 2006)
 Je suis l'homme qui a écrit l'histoire de l'homme qui a écrit l'histoire de l'homme qui a écrit l'histoire …

Céline Curiol : « Vous avez modifié beaucoup de choses entre le projet cinéma et l'introduction de cette histoire dans Le Livre des illusions ? »

Paul Auster : « Rien d'essentiel, en réalité. Il a fallu faire remonter l'action à 1946, par exemple. Il a fallu la situer dans la maison d'Hector au Nouveau-Mexique. Le film devait avoir été tourné en noir et blanc, et j'ai dû abandonner le style scénario pour décrire le film en prose. Un sacré défi, je dois dire. Pourtant, mis à part ces modifications, le film décrit dans le roman est très proche du scénario original. »

C. C. : « Pourquoi n'avez-vous pas incorporé la version longue dans le roman ? »

P. A. : « J'en ai eu la tentation, mais je me suis rendu compte que pour le faire bien, j'aurais besoin de trop de pages et que, ce faisant, je compromettrais l'équilibre du récit. »

C. C. : « Pourquoi vous a-t-il fallu trois ans pour revenir à Martin Frost après avoir terminé le roman ? »

P. A. : « Il y avait d'autres livres que j'avais envie d'écrire, des livres qui me
trottaient en tête depuis des années, et je n'avais pas envie de sortir de ma chambre (…). Maintenant que j'y pense, le 11 Septembre y était sans doute aussi pour quelque chose. J'avais été très secoué quand, des fenêtres de ma maison à Brooklyn, j'avais vu ce qui se passait, et l'idée de faire un autre film a perdu tout attrait pour moi pendant quelque temps. Je voulais être seul, élaborer ma propre réflexion. Diriger un film implique de renoncer à deux bonnes années de sa vie et, sauf quand on écrit le scénario, on travaille tout le temps avec d'autres personnes. Je n'étais pas d'humeur à faire ça.
»

C. C. : « Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ? »

P. A. : « (…) Brooklyn Follies était le quatrième roman que j'avais écrit en six ans et je crois que je me sentais un peu au bout du rouleau, pas vraiment prêt à me lancer dans une nouvelle oeuvre de fiction. Et j'avais toujours Martin Frost en tête. Je n'avais pas réussi à me détacher de cette histoire et j'ai donc, un beau jour, décidé de tenter le coup et de la finir (...). »


C. C. : « Pourquoi avez-vous tourné au Portugal ? »

P. A. : « J'ai fait la connaissance de Paulo il y a quatorze ou quinze ans à Berlin - par l'intermédiaire de Wim Wenders, un ami commun - et nous sommes toujours restés en contact. Après Lulu on the Bridge, il m'a dit que si jamais je voulais faire un autre film, je n'avais qu'à l'appeler et il le produirait. Quand le scénario de Martin Frost a été achevé, je l'ai appelé. Nous avons examiné la possibilité de tourner ici, en Amérique, mais nous ne pouvions tout simplement pas trouver l'argent nécessaire. Paulo a fait près de deux cents films dans l'Europe entière mais au Portugal il est chez lui et il y dispose de tous les moyens de travailler sans dépenses excessives - accès à des équipements, labos, équipes, tout le nécessaire - et nous avons donc décidé de nous y rendre. Quand on regarde le film achevé, on ne sait pas vraiment où on est (...). »

C. C. : « Vous avez réuni un bel ensemble d'acteurs. Comment vous y êtes-vous pris pour choisir les interprètes ? »

P. A. : « (...) Quand mon éditeur français m'a demandé avec quel acteur français je souhaitais travailler, j'ai suggéré Irène Jacob. J'avais rencontré Irène en 1998, quand je suis allé au Festival de Cannes pour Lulu on the Bridge. Un jour, nous nous étions trouvés assis l'un à côté de l'autre au déjeuner, et nous avions eu une conversation très agréable. Quand on la voit jouer dans un film comme Rouge ou La Double Vie de Véronique, on se rend compte qu'elle a un talent et une présence remarquables, mais je la trouvais tout aussi remarquable dans la vie réelle (...). »

C. C. : « Et les autres ? »

P. A. : « Michael Imperioli avait passé une audition pour Smoke en 1994 et, bien que nous ne l'ayons pas engagé, j'avais été très impressionné par son travail. Je lui avais réservé un petit rôle dans Lulu on the Bridge, mais quelque chose de plus important s'est présenté à lui et j'ai dû y renoncer. Mais j'espérais toujours qu'un jour ou l'autre nous finirions par travailler ensemble. Il a eu un grand succès dans Les Soprano, bien sûr, mais il m'a confié que les scénarios qu'on lui envoie sont uniformément sinistres. Flics et voyous, toujours un flic et un voyou, et il les refuse tous. Il vaut tellement mieux que ça, il a une si vaste palette et une telle finesse. Quand je lui ai envoyé Martin Frost, il a accepté aussitôt. Une lecture, et il en était. Quant à Sophie, je n'ai rencontré aucune résistance, là non plus. Je sais que certains diront que je lui ai donné le rôle parce qu'elle est ma fille, mais ce n'est pas vrai. Personne n'aurait pu mieux qu'elle interpréter ce rôle - une fille de dix-huit ans capable de jouer et de chanter à ce niveau. J'ai le sentiment d'avoir eu de la chance de l'avoir au début de ce qui promet d'être une belle carrière. On ne sait jamais, dans ce domaine, bien entendu, mais il y a de fortes chances pour que, bientôt, les gens cessent de penser à elle comme à ma fille et parlent de moi comme de son père (...). »


C. C. : « Comment David Thewlis est-il arrivé dans le tableau ? »

P. A. : « (...) Ce soir-là, je me suis posé la question que voici : si je pouvais avoir n'importe quel comédien de langue anglaise pour jouer ce rôle, lequel voudrais-je ? La réponse était : David Thewlis. Je n'avais rencontré David qu'une fois, ça remontait à 1997, quand j'étais membre du jury à Cannes. Mike Leigh faisait aussi partie du jury cette année-là et un matin, comme nous nous baladions en ville, David est passé par hasard et Mike nous a présentés. Après ça, nous avons bavardé un moment, David et moi, et je me souviens d'avoir été très touché quand il m'a dit que les trois derniers romans qu'il avait lus avaient tous été écrits par moi. Tout cela était bel et bon. Au moins, David Thewlis savait qui j'étais. Mais comment prendre contact avec lui sans passer par un agent ? Comment pouvais-je espérer qu'un acteur d'un tel talent serait disponible ? J'ai pris contact, à Los Angeles, avec Heidi Lewitt, qui s'était occupée du casting pour Smoke, Brooklyn Boogie et Lulu on the Bridge, et je lui ai demandé si elle connaissait quelqu'un qui pourrait lui donner le numéro de téléphone de David. Oui, m'a-t-elle répondu, elle pensait bien que oui, et une demi-heure après elle me rappelait pour me communiquer le numéro. Un début prometteur. Le lendemain matin, j'ai appelé David à Londres et j'ai laissé un message sur son portable. Il m'a rappelé quelques heures plus tard et la première chose qu'il m'a dite, c'est qu'en entendant mon message, il avait cru que l'un de ses amis lui faisait une blague. Il se trouve que depuis plusieurs semaines, David demandait à la ronde mon numéro de téléphone afin de prendre contact avec moi. Il y avait une histoire drôle et compliquée qu'il voulait me raconter à propos d'un de mes livres, et il n'en revenait pas que j'aie pris contact avec lui. »

C. C. : « Et alors ? »

P. A. : « On a envoyé le scénario à David par courrier électronique et le lendemain il acceptait le rôle. Ça m'a fait l'effet d'un miracle, d'un coup de chance ahurissant. Deux semaines et demie plus tard, nous nous sommes retrouvés pour la première fois à Lisbonne. Irène et lui étaient tous deux venus pour répéter avec moi, et notre entente a été immédiate. Ce n'est pas seulement un acteur magnifique, c'est aussi quelqu'un d'irrésistible : intelligent, drôle, grand raconteur d'histoires, et aimable avec tous ceux qui l'entourent. Et - c'est ici que ça devient vraiment intéressant - il est écrivain. Cinq ou six ans avant d'incarner un romancier dans mon film, David avait commencé à écrire un roman. Chose incroyable, il en a terminé le manuscrit pendant que nous nous trouvions tous au Portugal, la veille du premier jour de tournage (...). »

C. C. : « La scène pivot du film est celle où Claire meurt et où Martin la
ramène à la vie en brûlant des pages de son manuscrit. Vous croyez que l'écriture est une arme dangereuse ? qu'elle peut tuer ?
»

P. A. : « (...) Un livre n'est pas une mitraillette, ni une chaise électrique. Et pourtant, il arrive parfois des choses étranges qui font qu'on reste interdit. Le cas de l'écrivain français Louis René des Forets, par exemple. J'en ai entendu parler pour la première fois quand j'habitais à Paris au début des années 1970 et j'en suis resté hanté au point de l'incorporer des années plus tard dans l'un de mes romans, La Nuit de l'oracle. Des Forets était, dans les années 1950, un jeune auteur plein d'avenir qui avait publié un roman et un recueil de nouvelles. Il a écrit alors un poème narratif dans lequel il est question d'un enfant qui se noie dans la mer. Peu après la parution du livre, son propre enfant s'est noyé. Bien qu'il ne pût y avoir aucun lien entre la mort imaginaire et la mort réelle, des Forets fut si bouleversé par cette expérience qu'il arrêta d'écrire pendant des dizaines d'années. Terrible histoire. On comprend sans difficulté ce qu'il ressentait. »

C. C. : « La Vie Intérieure de Martin Frost commence par un lent travelling sur une série de photos de famille. Si on les regarde attentivement, on se rend compte que ce sont des photos de vous et de votre épouse. Si on change l'ordre des lettres du nom, Restau, cela donne Auster (...). Le nom du narrateur ne figure pas au générique du film, mais il se trouve que cette voix est la vôtre. Voudriez-vous vous en expliquer ? »

P. A. : « Plutôt que de faire les frais de prendre des photos d'acteurs, j'ai retiré quarante à cinquante photos de nos propres albums et je les ai emportées au Portugal. Pourquoi pas ? C'étaient d'authentiques photos de famille, et si quelqu'un nous reconnaissait, Siri et moi, très bien. Si on ne nous reconnaissait pas, très bien aussi. Quant au nom de Restau et au fait que je me suis chargé de la narration, je pense qu'ils ajoutent au film un élément subtil mais intéressant - pour ceux qui déchiffrent l'anagramme ou qui reconnaissent ma voix. Tous ceux qui verront le film sauront grâce au générique que je suis l'auteur et le réalisateur. Je suis l'homme qui a écrit l'histoire de l'homme qui a écrit l'histoire de l'homme qui a écrit l'histoire. Pourquoi prétendre autre chose ? »

La vie intérieure de Martin Frost Editions Actes Sud. Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf


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Fiche technique
Ecrit et réalisé par : Paul Auster
Premier assistant à la réalisation : José Maria Vaz da Silva
Son : Pedro Melo, Miguel Martins et Jean-Pierre Laforce
Musique : Laurent Petitgand
Décors : Zé Branco
Montage image : Tim Squyres
Directeur de la photographie : Christophe Beaucarne
Directrice de production : Diana Coelho
Producteurs : Paulo Branco, Paul Auster et Yael Melamede
Produit par : Alma Films, Clap Filmes et Tornasol Films
En association avec : Salty Features et Rtp
Avec la participation de : Icam (Portugal)

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à Olivier Depecker
logos & textes © nabla.free.fr/almafilms/
photos © Zé Maria Branco

Publié dans PRÉSENTATIONS

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