Regarde-moi
Regarde-moi drame de Audrey Estrougo
avec :
Émilie de Preissac, Eye Haidara, Paco Boublard, Terry Nimajimbe, Jimmy Woha Woha, Renaud Astegiani, Lili Canobbio, Oumar Diaw, Salomé Stévenin et avec la participation de Marie Favasuli et Marie-Sohna Condé
durée : 1h32
sortie le 26 septembre 2007
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Synopsis
Une journée qui commence comme les autres dans la banlieue parisienne. Jo, futur joueur en formation au football club d’Arsenal entame un footing, Yannick veut reconquérir sa belle Melissa et Mouss aimerait concrétiser sa relation avec Daphné. 24h pour se sceller un destin.
Même journée qui démarre comme les autres pour Fatimata et Julie. Sauf que Fatimata est noire que Julie est blanche, qu’elles aiment le même garçon et que les prochaines 24h les réuniront à jamais.
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Audrey Estrogou : « Depuis maintenant près de vingt ans, la banlieue porte sa croix.
Je suis née à Paris, j’ai fait mes premiers pas dans le quartier du Marais, entamé ma crise d’adolescence dans le XVII ème avant de l’achever… dans le 93 ! J’ai connu ma première bagarre… En banlieue ! Je n’avais déménagé que d’une dizaine de kilomètres mais c’était un nouveau monde. Je n’y ai vécu que quatre ans. Le temps d’apprendre, de comprendre. Une richesse infinie. Ce n’est qu’en revenant sur Paris que j’ai eu le recul nécessaire pour me rendre compte de la transformation de mon comportement…
En effet, de la jeune fille tendance à la mode du jean effilé et de la paire de Doc Martens, je ne portais plus que des joggings et des paires de Air Max. Adieu le Jazz et les Beatles de Papa et bonjour gros rappeurs, tout simplement parce que ça me marginalisait trop. Je suis devenue une véritable verlanaise (qui parle le verlan quoi !), championne de l’agression verbale et de la rétention de sentiments puisque quoi qu’il advienne, j’étais sur la défensive, prête à dégainer ! J’ai donc vite compris que la banlieue, c’est sans foi ni loi, quand on y est adolescente et qu’il fallait se défendre en permanence, essentiellement en reniant ce que j’étais avant tout… Une fille en passe de devenir une femme.
Ce qui m’a aussi marqué en arrivant en cité, c’est la séparation des sexes. Comme deux mondes qui jamais ne se recoupent. Celui des garçons et celui des filles. Avec du côté des filles, une violence beaucoup plus présente et perfide que ce qu’on imagine. Il y règne comme une obligation du reniement du soi. Oppressant. Les filles de cité sont claniques, comme les garçons, et très souvent, presque toujours, dans une opposition de couleur de peau. Pourquoi ?
Pourquoi ces filles s’habillent en jogging, comme les garçons ? Pourquoi parlent elles de façon agressive et incompréhensible, pis que les garçons ?
Pourquoi chacune ne serait-elle considérée que comme une petite soeur ou une pute ?
Les putes, ce sont souvent les autres, les babtous (toubabs = blanches) : Elles, elles n’ont pas de pression vestimentaire, comportementale ou même sentimentale.
Voilà mon film ! Une histoire qui se lit en deux temps : le premier, le monde des garçons avec leur code de conduite, leur vision du monde, leur propre langage et en tant qu’adolescents ou presque hommes, leur attitude envers les filles. Il y a ce qu’ils exigent d’elles parce que ce sont des soeurs ou des filles qui couchent. Il y a aussi ce qu’ils ressentent pour elles et qu’ils ne peuvent montrer parce qu’être un homme, c’est être fier et fort avant tout.
Le second, le monde des filles, être une fille, c’est donc se déguiser : jouer au garçon pour être épargnée, parler comme un garçon pour être entendue et ne pas s’avouer que c’est d’une autre jeunesse qu’on aurait rêvé. Ce reniement de soi, réflexe protecteur, empêche d’aller vers l’autre… Une pente dangereuse. Cette colère rentrée, cet excès de frustrations conduit inexorablement à des maux tels que le racisme, la violence physique, l’envie, l’ignorance, le manque de communication, le rejet de soi…
La violence dont je traite dans mon histoire, je l’ai vécue comme un électrochoc. Aujourd’hui, elle résonne encore en moi. J’ai 23 ans et je vis à Paris mais je sais que rien n’a changé de l’autre côté du périph. Les filles ont toujours besoin de se travestir pour vivre en paix.
Je vois ce film comme un hommage à cette jeunesse, un cri poussé pour ces filles et peut-être le début d’une reconnaissance. Car ce sont des victimes, des guerrières qui se battent pour exister et aussi violent soit-il, il n’y a pas de plus beau combat… »
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Entretien avec Audrey Estrougo
- : « Regarde-moi apporte un nouveau regard sur la banlieue en s’attachant à décrire la vie d’un groupe d’adolescentes. Comment est née l’idée de ce film ? »
Audrey Estrogou : « Un premier film est toujours nourri de choses personnelles. Dans mon cas, c’est l’adolescence. J’ai vécu à Paris, puis ma mère s’est remariée et nous sommes partis nous installer en banlieue. En tant que parisienne, je craignais surtout de me faire emmerder par les garçons. Or, le vrai choc a été ma première rencontre avec les filles de mon collège qui fonctionnaient de manière clanique, comme les garçons, et même plus encore. Pour elles, j’étais blanche, je mettais des jeans, j’étais donc une pute. J’avais 13 ans, je ne comprenais pas ce qui se passait autour de moi. J’ai donc dû m’adapter pour mieux m’intégrer. Et pour ça, j’ai renié ce que j’étais : une fille ! J’ai mis des joggings, des baskets, et j’ai appris à dire wesh. Évidemment, ça peut paraître très violent, et pourtant cette période m’a beaucoup apporté. C’est au lycée que j’ai ensuite pris conscience des changements dans mon comportement. Je m’étais éloignée de la cité, du coup c’est moi qu’on prenait pour une racaille. À partir de là, j’ai beaucoup réfléchi à ce que j’avais vu et vécu. À 19 ans, j’ai commencé à écrire un court métrage qui mettait en scène exclusivement des filles. »
- : « C’est un film sur la renonciation de soi, la négation de sa nature profonde ? »
A. E. : « Oui, mais ce n’est pas un film noir et plombant. J’ai voulu qu’il puisse parler à chacun. Je montre des filles qui ont du cran. Elles doivent supporter une pression énorme, et ça tous les jours. Elles se privent de leur féminité pour vivre en paix. Elles n’existent pas par elles-mêmes, mais au travers d’un frère ou d’un père. C’est très dur à vivre d’où les crises de violences, les agressions verbales ou physiques. C’est une question de droit, et même de non droit. C’est aussi une conséquence de l’ignorance. Les tabous sont nombreux chez ces ados. Ils ne parlent pas de sexualité ni de sentiments. Les premiers émois sont souvent cachés. Ainsi, un garçon ne peut pas montrer ce qu’il ressent pour une fille car c’est contraire à l’image de l’homme fort qu’il doit renvoyer à ses copains. À la fin du film, Julie se coupe les cheveux. Son geste ne peut pas être plus explicite. C’est un message qu’elle envoie aux autres : Vous voulez me priver de ma féminité, et bien prenez là car je vous la rends !. »
- : « Les parents sont plutôt absents de l’histoire comme pour appuyer votre description du monde des ados… »
A. E. : « C’est vrai. Ils apparaissent peu à l’écran car c’est un film sur l’adolescence. Et quand ils sont présents, ils sont démissionnaires. Ils n’incarnent plus ce repère nécessaire à leurs enfants, et pour des raisons différentes selon les personnages. La mère de Fatimata vit selon la coutume de son pays, elle ne s’est pas adaptée à la vie française. Du coup, elle ne peut pas comprendre sa fille, ses envies et ses peines. Le père de Julie est à la dérive, imbibé d’alcool. Il ne peut rien pour sa fille qui trouve sa seule porte de sortie dans sa relation avec Jo. »
- : « Le personnage de Jo apparaît d’ailleurs en rupture avec les autres, en ce sens qu’il est responsable et attentif aux autres, blancs ou noirs… »
A. E. : « Jo est un électron libre comme beaucoup de gars peuvent l’être. Il veut s’en sortir, et surtout il a une vie en dehors de la cité grâce au foot. C’est ce qui lui permet d’avoir l’esprit plus ouvert. Son père n’est pas là, sa mère n’est pas très présente, c’est pourquoi il veille sur son petit frère. Il est très attentionné, et très doux. Ce personnage amène aussi une autre réalité, plus positive. »
- : « L’espoir n’est pas absent du récit. À la fin, Julie et Fatimata échangent un regard lourd de sens… »
A. E. : « Oui. Elles font un pas l’une vers l’autre, elles peuvent enfin se comprendre. Et peut-être qu’elles finiront par se parler dans 10 ans. »
- : « Pourquoi avez-vous scindé le récit en deux parties, d’un côté le point de vue des garçons et de l’autre celui des filles ? »
A. E. : « Il s’agissait d’expliquer le malaise des filles et la violence qui en découle, sans pour autant la juger. La première partie décrit le monde des garçons et leur vision des filles, d’un côté la soeur et de l’autre celle qui couche. Cela permet aux spectateurs de comprendre pourquoi les filles doivent renoncer à leur féminité en adoptant les codes masculins de leurs frères. La seconde partie montre les conséquences du reniement de soi : la frustration, la rancoeur, le racisme et l’incompréhension de l’autre. C’est aussi une manière de montrer aux spectateurs ce qu’ils pensent connaître de la vie dans une cité, et ensuite ce qu’ils ignorent. »
- : « Certaines scènes se répètent, et pourtant elles sont différentes… »
A. E. : « Les choix de mise en scène ne sont pas identiques. Je ne voulais pas seulement traduire le changement de point de vue par des angles différents. La première partie est informative, je me suis donc servi des travellings pour suivre les garçons. La seconde partie est plus dans l’action, du coup j’ai utilisé une steadycam pour être au plus près des filles. L’idée est d’embarquer le spectateur à leurs côtés. Par ailleurs, certaines scènes qui paraissent similaires ne commencent pas ou ne se terminent pas au même moment. »
- : « La scène où les filles expriment leur haine face à la caméra apparaît comme le pivot du film, le moment où tout bascule… »
A. E. : « Oui. C’est une scène que j’assume totalement. Elle résume tout le film. J’ai fait hurler les filles pendant une heure au milieu de la cité, je les ai faites tourner en rond, et puis je leur ai dit de s’adresser à celui qui est derrière la caméra, le spectateur au fond de son fauteuil. Quand elles ont vu le résultat, elles m’ont dit ne pas s’être reconnues. J’ai accompagné cette montée de haine par le passage de la couleur au noir et blanc. C’est basique, et néanmoins très parlant. L’incompréhension est à son maximum, comme leur mal-être. C’est le sujet du film et je crois qu’il était nécessaire à un moment qu’elles l’expriment sans détour. À partir de là, c’est vrai que le film bascule. D’ailleurs, l’action qui se déroulait surtout en extérieur passe alors en décors intérieurs. Et là où je montrais 10 à 15 personnages à l’écran, je n’en montre plus que deux. L’action se limite à Fatimata et Julie. Le film devient leur histoire. »
- : « La violence n’est pas montrée à l’écran. L’agression de Julie est d’ailleurs hors-champ… »
A. E. : « Je n’avais pas l’intention de montrer cette violence de manière explicite. Le public n’en a pas besoin, il lui suffit d’ouvrir un journal pour y être confronté. C’est le cheminement de cette violence qui m’intéressait. À l’écran, il reste à la fin deux victimes, Julie bien sûr et aussi Fatimata qui est isolée par sa souffrance. »
- : « Regarde-moi frappe par le naturel de ses comédiens. Comment les avez-vous choisis ? »
A. E. : « Quand j’écrivais le scénario, j’étais consciente du côté risqué du projet. J’ai donc décidé de tourner un pilote pour mieux expliquer ma démarche. J’ai passé des annonces sur les sites des agences de casting. Quelques-unes m’ont répondu, et je me suis retrouvée à voir 300 jeunes en 10 jours. Je n’ai pas voulu qu’ils fassent des essais devant une caméra, je leur ai donc demandé simplement de me parler d’eux. J’ai retenu ceux qui me paraissaient les plus intéressants d’un point de vue humain. À l’approche du tournage du film, j’ai renouvelé le casting, mais la plupart des comédiens étaient déjà présents sur le pilote. »
- : « Avez-vous beaucoup répété avec eux ? »
A. E. : « Oui, deux à trois fois par semaine pendant six mois. D’autant plus que je ne leur ai pas donné le scénario avant le tournage. Nous faisions des improvisations autour du sujet, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, et parfois tous ensemble. Chacun s’est prêté à ce jeu. En fait, je ne voulais rien figer. Il fallait qu’ils gardent leur fraîcheur et leur spontanéité. »
- : « Ces improvisations ont-elles nourri les dialogues du film ? »
A. E. : « Je leur ai volé quelques répliques, mais les dialogues restent néanmoins très écrits. Les séances d’improvisation m’ont surtout servi à aller au fond des choses en créant une dynamique de groupe. Je voulais charger les personnages de leur vécu à tous. Il fallait vraiment que le spectateur ait l’impression que ces jeunes se connaissent depuis leur enfance. »
- : « Où avez-vous tourné en banlieue parisienne ? »
A. E. : « Essentiellement à Colombes. J’aurais volontiers tourné aux 4 000 à La Courneuve, mais c’était trop identifiable. Je voulais un endroit anonyme afin de ne pas associer mon récit à un quartier précis. L’histoire de Regarde-moi est universelle, elle peut se dérouler n’importe où. À Colombes, nous disposions d’une barre d’immeuble entièrement vide. Nous avons pu y installer les décors intérieurs et les loges. Nous étions très à l’aise, ce qui n’était pas négligeable pour un tournage de six semaines en plein milieu d’une cité. »
- : « Justement, comment s’est déroulé le tournage ? »
A. E. : « J’ai vécu dans une cité, je sais comment ça se passe. Il y a tout un travail d’approche à faire en amont. Nous sommes donc allés nous faire connaître avant de tourner, car il fallait que les gens nous acceptent. Cela n’a pas empêché quelques problèmes. Pour l’anecdote, les loges ont été cambriolées au bout de trois jours, et tous les costumes ont été volés. Les groupes électrogènes ont aussi été pris en otages. Je m’y attendais, à moi de détendre l’atmosphère. Et puis, ça nous mettait dans l’ambiance. Il y avait une vraie énergie sur le tournage, et beaucoup de solidarité au sein de l’équipe. »
- : « Pourquoi avez-vous choisi le format scope ? »
A. E. : « Le scope, c’est le cinéma. Or Regarde-moi n’est pas un reportage, mais un film. Ce n’est pas Strip-tease dans ta cité ! Je ne voulais pas tourner caméra à la main avec une dv. Je crois que le choix du scope résulte, peut-être de manière inconsciente, de mon envie de faire de l’image. C’est aussi une manière d’instaurer une distance avec l’histoire, car je n’ai pas la prétention de détenir la vérité sur la vie en banlieue. J’ai fait un film sur le vécu avec mon ressenti. »
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Fiche technique
Réalisatrice : Audrey Estrougo
Scénariste : Audrey Estrougo
Chef opérateur : Guillaume Schiffman
Ingénieur du son : Madone Charpail
1er assistant : Roger Delattre
Scripte : Céline Breuil Japy
Production : 7e Apache Films
Producteurs : Bruno Petit et Xavier Durringer
Distribution : Gaumont
Relations presse : François Hassan Guerrar et Julie Tardit
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