Le garde du corps (El custodio)
Le garde du corps (El custodio) drame de Rodrigo Moreno
avec :
Julio Chavez, Osmar Núñez, Cristina Villamor, Osvaldo Djeredjian, Adrián Andrada, Elvira Onetto, Luciana Lifschitz, Vanessa Weinberg, Marcelo Xicarte et Guadalupe Docampo
durée : 1h33
sortie le 4 avril 2007
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Synopsis
Rubén est le garde du corps du Ministre de la Planification. Dans le cadre de représentations officielles mais aussi dans la vie privée, Rubén le suit comme une ombre lors du moindre de ses déplacements. Il mène une existence solitaire et monotone. L’obligation de ne jamais se faire remarquer, entre routine et petites humiliations, fait peser sur les épaules de Rubén un poids néanmoins de plus en plus difficile à supporter.
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Entretien avec Rodrigo Moreno
Un film Made in Argentine
Blandine de Dreux : « Quel a été l’accueil du public argentin et dans quels autres pays votre film est-il sorti ? »
Rodrigo Moreno : « Le prix reçu au Festival de Berlin (le prix Alfred Bauer) m’a naturellement rempli de joie, et au-delà, il a été ma carte de visite dans le monde du cinéma. Le film a été vendu dans de nombreux pays d’Europe, d’Amérique Latine, aux Usa et au Japon, il est aussi sorti en Argentine. Je ne pense pas être la personne la mieux placée pour décider si, oui ou non, le public argentin l’a aimé. Il a déclenché des passions et quelques déceptions, mais une chose est certaine, l’indifférence n’a pas été au rendez-vous ! »
B. de D. : « Sa sortie en France revêt-elle une importance particulière ? »
R. M. : « Pour n’importe quel cinéaste, la France est porteuse de nombreux symboles positifs. En outre, Buenos-Aires et ses habitants se sentent philosophiquement liés à Paris. Alors, comme cinéaste et habitant de cette ville, sortir mon premier film en France me rend particulièrement heureux. Mais j’idéalise tant le public français que c’est avec une énorme appréhension que j’attends l’accueil qu’il va lui réserver. »
Un acteur, Julio
B. de D. : « Chavez Julio Chavez est un acteur reconnu en Argentine, pouvez-vous le présenter aux spectateurs français ? »
R. M. : « Julio Chavez est l’un de nos acteurs les plus accomplis. Il a à son actif une liste de créations magistrales, au théâtre comme au cinéma. C’est un des professeurs de théâtre les plus doués d’Argentine. Il est en outre peintre, sculpteur, auteur de théâtre… C’est un artiste complet, une personnalité hors norme et un acteur hors du commun. »
B. de D. : « Comment avez-vous préparé ce tournage avec lui ? »
R. M. : « Il a une manière toute personnelle de travailler. C’est une bénédiction pour un réalisateur car il pose des questions si précises qu’elles exigent de vous une énorme concentration et une parfaite connaissance du personnage. Nous avons énormément discuté, analysé ensemble le parcours du personnage tout au long du film. Ensuite, seul, il a choisi comme modèle son propre père, pour créer la structure psychique et le comportement de Ruben. Je ne suis pas intervenu dans ce processus car je pense qu’il relève du territoire exclusif de l’acteur. Son rôle étant celui d’un solitaire, j’ai beaucoup travaillé seul à seul avec lui, sans le mêler au groupe des autres comédiens. Le puzzle s’est ensuite assemblé en cours de tournage. »
Un personnage, Ruben
B. de D. : « D’où vous est venue l’idée de Ruben, ce personnage si atypique ? »
R. M. : « Un jour, je suis tombé en arrêt devant quelques-uns de ces hommes, toujours vêtus de noir, sérieux, pétrifiés devant une porte. L’instant suivant, en jaillissait un Ministre que j’avais vu dans les magazines ou à la télévision. Les hommes en noir l’ont accompagné jusqu’à une voiture, lui ont ouvert la porte, le Ministre s’y est installé et ils sont montés dans un autre véhicule pour le suivre. J’ai été frappé par cette cérémonie silencieuse, cette chorégraphie étrange et peu commune. Derrière le Ministre allaient ses gardes du corps… Et je me suis alors demandé : que peut-il se passer dans leur tête ? Partant de là, j’ai commencé à écrire mon scénario, inventant un récit à la première personne. J’ai vite senti que le point de vue de quelqu’un, naturellement situé à la périphérie de l’histoire, pouvait être intéressant pour en faire un film. »
B. de D. : « Que symbolise le métier de garde du corps ? »
R. M. : « Un garde du corps vit par personne interposée, c’est quelqu’un qui n’exprime ni ses désirs, ni ses opinions, qui est soumis à la nécessité d’un autre. J’ai donc imaginé un personnage muré, silencieux, tel un samouraï dont nous ne pouvons déchiffrer les sentiments. »
B. de D. : « Pourquoi avoir placé Ruben à distance permanente de ce qui se déroule autour de lui ? »
R. M. : « L’intéressant avec un garde du corps, c’est qu’il s’infiltre dans tous les recoins de l’intimité du Ministre alors que celui-ci ignore sa présence, qu’il soit en train de dormir ou de travailler, qu’il soit avec ses collaborateurs, sa maîtresse, ou son épouse. Le plaçant à distance, j’ai trouvé un matériau de travail jubilatoire. Ce type occupe les recoins discrets de la maison, ceux réservés au personnel de service : une salle de bain inutilisée, la buanderie, une chambre de bonne. L’habitat naturel d’un garde du corps, c’est aussi ces lieux de transitions, un palier, une salle d’attente, un ascenseur, un corridor. Les portes qui se ferment sous son nez symbolisent sa frontière : il existe des lieux où il ne sera jamais convié, une limite qu’il ne pourra jamais franchir. »
B. de D. : « Pourquoi Ruben ne vit-il jamais un instant heureux, en famille comme au travail ? »
R. M. : « Pour construire mon scénario, j’ai cherché d’où lui venait sa profonde sensation d’humiliation, j’ai traqué tout ce qui pouvait en être la source. Sans sombrer dans la caricature ou le prévisible, j’ai cherché à lui faire ruminer encore et encore ce sentiment. Comment explorer à fond une situation dramatique donnée ? Il me semble que El Custodio appartient à la catégorie des films racontant de diverses manières la même situation dramatique. »
Les autres…
B. de D. : « Ce ministre est-il en réel danger de mort ? »
R. M. : « Il est clair que personne n’a la moindre intention de tuer ce Ministre et cela crée la particularité du film. C’est le protocole qui impose un garde du corps à ce Ministre, mais cette fonction n’a plus aucun sens dès lors que l’on se rend compte que personne ne songe à le tuer. A partir de là, le travail du garde du corps se réduit à ouvrir des portes, à accompagner son protégé aux toilettes, à éteindre la télé devant laquelle il s’est endormi. Sa fonction est totalement décorative. Ce garde du corps est un meuble familier. Sans aucun doute, cette soumission est une forme moderne de l’esclavage. »
B. de D. : « Pourquoi le couple rendant visite au Ministre est de nationalité française et non… américaine par exemple ? »
R. M. : « Il fallait, pour la scène du dessin, que les personnages parlent une langue que le garde du corps ne pouvait comprendre, afin de le laisser à nouveau abandonné, hors de la situation. Pourquoi la langue française ? Je me suis tout simplement imaginé que le Ministre et sa femme avaient séjourné en France au temps de leurs études, et que ce couple français était des amis d’alors, venus leur rendre visite. »
Une esthétique soignée
B. de D. : « Dans El Custodio, vous avez apporté un soin tout particulier à l’image. Comment avez-vous préparé le tournage avec votre directrice de la photo Barbara Alvarez ? »
R. M. : « Sans hésitation. Il s’agit d’un film très masculin, alors placer une femme derrière la caméra m’a semblé intéressant. Mais ce qui compte, ce n’est pas le sexe, c’est le talent, et Barbara Alvarez s’est affirmée comme une directrice de la photo exceptionnelle. Elle a su capter le climat de ce film. »
B. de D. : « Que symbolise la présence d’un chapelet accroché au rétroviseur de la voiture ? »
R. M. : « Absolument rien pour moi. Il est juste extrêmement fréquent en Argentine que les voitures officielles portent un chapelet accroché ainsi. On en voit aussi beaucoup dans les taxis… et les voitures de police. »
B. de D. : « Un épilogue choc Sans dévoiler la fin de votre histoire, qu’avez-vous souhaité démontrer en la terminant ainsi ? »
R. M. : « Le film raconte la soumission d’un personnage et son silence. Le final, c’est la seule issue qu’il trouve, son espace de liberté, en utilisant ce qu’il sait faire. Car après tout, c’est un des gestes qu’on lui a enseignés durant sa formation. »
B. de D. : « Et après… Quels sont vos projets ? »
R. M. : « Je termine actuellement un film de télévision qui m’a été commandé par la chaîne publique argentine. Dès que j’ai un instant, je poursuis aussi l’écriture de mon prochain film. »
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Fiche technique
Réalisation : Rodrigo Moreno
Scénario : Rodrigo Moreno
Image : Barbara Alvarez
Chef décorateur : Gonzalo Delgado Galiana
Assistant réalisateur : Juan Pablo Lapace
Montage : Nicolas Goldbart
Son : Catriel Vildosola
Costumes : Adelaida Rodriguez Puig
Directrice de production : Lilia Scenna
Production : Hernan Musaluppi (Rizoma Films, Argentine), Natacha Cervi (Rizoma Films, Argentine) et Luis Sartor (Zarlek Producciones, Argentine)
Coproduction : Elise Jalladeau (Charivari Films, France), Christoph Friedel (Pandora Film, Allemagne), Fernando Epstein (Control Z Films, Uruguay) et Maiz Producciones SA (Argentine)
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logos et textes © www.sddistribution.fr
© photos Florencia Blanco
© photos Florencia Blanco