Jean-Julien Chervier "Le temps des cerises"
Le temps des cerises
court métrage de Jean-Julien Chervier
avec :
Thérèse Roussel et Bernard Haller
durée : 0h15
jeudi 6 avril 2006 à 20h au cinéma
Entretien avec Jean-Julien Chervier
elvi67 : « Comment est né l'idée du scénario "Le temps des cerises" (tranche de vie connue ? pur imaginaire ?) où vous abordez entre autres les thèmes du désir et de la sexualité chez les septuagénaires et en particulier les caractéristiques de vos personnages ce retraité éternel militant et cette femme en attente d'une rencontre par petite annonce ? »
Jean-Julien Chervier : « Après avoir réalisé un court métrage sur le désir d’un garçon de onze ans (La Prière de l’écolier), puis un long métrage (Du Poil sous les roses, co-signé avec Agnès Obadia) qui dépeignait l’éveil à la sexualité de deux adolescents, je me suis intéressé à la quête amoureuse de deux septuagénaires qui réapprennent le langage des corps dans une chambre d’hôtel
Le temps des cerises s’inscrit dans le cadre d’une collection initiée par Canal+. Chaque année, un concours de scénarii est lancé. L’an passé, le thème était 10 minutes pour refaire le monde. A partir de cette contrainte, j’ai choisi de décrire la redécouverte du désir et du plaisir chez deux personnages de 70 ans et des poussières, aux corps a priori abîmés et délaissés. La représentation que la plupart d'entre-nous se fait des Vieux, comme dans la chanson éponyme de Brel, renvoie de façon persistante à une certaine forme de tabou social et culturel, au point que l'on a du mal à les imaginer comme des êtres encore sexués et aimants.
La rencontre des deux personnages par petite annonce est traité de façon sibylline, car là n’est pas l’enjeu.
L’enjeu est ce qui se passe dans la chambre, car la révolution des deux corps en présence est tout aussi mouvementée que ce qui peut se passer dehors, dans le groupe, dans la rue. D’ailleurs, tout au long de leur rencontre, nous entendons en off, au loin, les sons des manifestants, leurs slogans, de manière à faire co-exister ces deux conceptions du désordre, ces deux types de manifestations. D’ailleurs, « Le Temps des Cerises », était au départ une chansonnette d’amour qui deviendra par la suite un champ révolutionnaire après le massacre des Communards.
Je suis parti de deux clichés : celui du militant cégétiste pour qui Le temps des cerises est avant tout un chant révolutionnaire, celui de la femme bourgeoise qui lit Le Figaro , n’est jamais descendue dans la rue ni entendu cette chanson autrement que comme un hymne à l’amour. Derrière son masque de révolutionnaire, l’homme va s’ouvrir progressivement à une autre forme de lutte : celle de deux corps qui vont trouver un langage commun, malgré deux conceptions du monde, tout juste esquissées, mais dont on comprend qu’elles ne se rejoignent pas à priori.
Très vite, une coupure d’électricité due aux manifestants va plonger la chambre d’hôtel dans l’obscurité et créer l’intimité propice à la rencontre charnelle. A partir de là, les caractéristiques de départ fondent comme neige au soleil. Nus, nos personnages ne peuvent plus se protéger derrière leurs conventions. Et le conservatisme supposé de la femme n’est plus qu’une apparence lointaine… »
67-ciné.gi : « Est-ce que la chanson Le temps des cerises à la fois nostalgique, de lutte et d'amour (créée en 1866, parole de Jean-Baptiste Clément sur une musique d'Antoine Renard) était déjà à l'origine du fil conducteur de votre court-métrage ?, comment s'est fait son choix ? »
Jean-Julien Chervier : « Le choix de la chanson correspond effectivement au point de départ de l’écriture du scénario. J’avais entendu quelques mois auparavant le trajet tout à fait particulier du Temps des cerises… Chanson sentimentale d’abord, chant de lutte ensuite… J’avais mon mode d’opposition initial. Restait à inventer le reste… ! »
elvi67 : « Quelles ont été vos motivations de choix du format court-métrage pour mettre en image votre scénario ? (plutôt qu'un long-métrage, l'avez-vous envisagé un instant ?) »
Jean-Julien Chervier : « Le format court était celui proposé par Canal+. 10 minutes pour refaire le monde, c’est très court. D’autant plus que j’avais la matière pour faire un film un peu plus long. J’ai resserré le scénario à plusieurs reprises, jusqu’au tournage, et même pendant. Puis encore au montage, j’avais la matière pour un film de vingt minutes. Finalement, il en dure quinze, grâce à la mansuétude de Brigitte Pardo et Pascale Faure, les Madame Programmes court de Canal. De cette contrainte, puis de cette frustration, et des réactions souvent très belles des spectateurs, est né le désir de raconter une autre histoire d’amour entre deux septuagénaires, qui fera l’objet de mon prochain long métrage, en cours d’écriture. »
67-ciné.gi : « Pensiez-vous déjà en cours d'écriture de votre scénario au couple d'actrice et d'acteur Thérèse Roussel et Bernard Haller ? vous êtes vous documenté sur le sujet abordé, la sexualité chez les personnes âgées ? »
Jean-Julien Chervier : « Je ne me suis pas documenté, non… J’ai fait appel à mes souvenirs… Enfant, j’étais fasciné par mon arrière-grand-mère lorsque je la regardais dormir: son corps était l’objet de questionnements sans fin: à quoi pouvait bien ressembler sa poitrine sous son chemisier en nylon, son sexe…? A l’image de ses pieds déformés ? Sa peau respirait-elle encore sous le tissu ? Avait-elles encore des pensées, des rêves amoureux ?
Pour ce qui est du couple d’acteurs, il s’est formé tout doucement… Je connaissais Bernard Haller à travers des comédies comme Signé Furax qui ont marqué mon enfance, et Thérèse Roussel, je l’ai découverte au théâtre. J’ai tout de suite été touché par ce mélange de douceur et de puissance qui se dégage d’elle. Et séduit par cet abandon dont elle est capable. »
elvi67 : « Comment s'est porté votre choix sur Thérèse Roussel et Bernard Haller ? quelles ont été leurs premières réactions, à la lecture de votre scénario ? , pendant le tournage ? et à la projection de votre court-métrage ? »
Jean-Julien Chervier : « La première fois que j’ai rencontré Bernard Haller, c’était chez lui. Il devait être trois heures de l’après-midi. Il m’a reçu en peignoir. Au bout de quelques minutes, il laissait son peignoir tomber sur le sol. "Autant aller droit au but" me dit-il alors. "Est-ce que je vous plais ?" me demanda-t-il alors avec plein d’humour. Il m’a explique n’avoir jamais joué nu au cinéma… Il m’a demandé que je lui montre mes films. Ca lui a plu. Ensuite, Thérèse et lui se sont rencontrés, sans moi, dans un café. Il lui a pris la main, l’a caressée. "C’est une question de peau" disait-il. Il fallait que leurs peaux se parlent. Ils se sont levés, se sont regardé dans un miroir. Ils se sont plus. L’affaire était conclue.
Quelques jours avant le tournage, Thérèse Roussel m’a reçu chez elle, pour des essais costume. Elle m’a demandé de rester pendant qu’elle se déshabillait. Il n’y avait aucune gêne, de part et d’autre. C’était simple et doux. C’est simplement peut-être quand elle s’est rhabillée que je me suis senti un peu voyeur et que j’ai baissé les yeux.
Quand ils ont vu le film la première fois, ils l’ont trouvé plus pudique qu’ils ne l’imaginaient, je crois. Je crois qu’ils aiment le film, mais il faudrait que vous leur demandiez ! »
67-ciné.gi : « Vous filmez avec plein d'humanité et une grande tendresse les étreintes charnelles chez vos personnages (qui contraste parfois au traitement de la sexualité dans la jeunesse), comment s'est effectué le travail de chorégraphie avec vos acteurs ? leur rapport à la pudeur ? vous ont-ils apporté des idées que vous n'aviez pas envisagées ? »
Jean-Julien Chervier : « J’ai souhaité traiter les corps de façon sensuelle, rendre ces corps fatigués, beaux dans leur fracas. Filmer les rides, les imperfections, les accidents du temps dans ce qu’ils ont de plus violent mais aussi de plus fascinant, de plus émouvant et riche d’un point de vue plastique, mais aussi narratif (ce que ça raconte du temps qui passe). Cela impliquait un découpage où se mêlent gros plans, de façon à être au plus près des peaux, des paysages qu’elles dessinent, et plans plus larges, chorégraphiés, où les corps se devaient d’être ensemble, dans leur quête commune, qui est aussi une lutte contre la mort. Au final, une certaine forme d’érotisme devait se dégager. Le travail sur la lumière, une lumière qui sache faire ressortir le grain, la texture des peaux, tout en leur apportant une dimension picturale, était primordial. Le regard de mon chef opérateur, Jean-Jacques Bouhon, fut, de ce point de vue là, d’une grande richesse.
Au montage, j’ai prolongé ce travail sur la forme, par l’utilisation de fondus au noir, qui sont comme autant de voiles, qui habillent ou dénudent les personnages, et par le montage des paroles, souvent en off, comme si les voix et les corps se dissociaient, se répondaient en décalage. Nos deux personnages, qui n’ont pas fait l’amour depuis des dizaines d’années, ont la gestuelle maladroite, décalée, de l’adolescence dans l’expression de leur impétuosité »
elvi67 : « Comment est née la scène très émouvante où le personnage de Thérèse Roussel, en pleurs, se met à chanter le refrain du temps des cerises suite au départ de la chambre d'hôtel du personnage de Bernard Haller ? »
Jean-Julien Chervier : « Cette scène était au départ beaucoup plus longue. On voyait le personnage de la femme seule dans cette chambre, d’abord effondrée par ce départ, incapable de retenir l’homme, puis heureuse de ce qu’elle venait de vivre.
J’ai finalement choisi, d’abord pour des raisons d’économie de récit, de jouer les deux derniers dialogues en off. Le "je vous aime" de l’homme peut être ainsi interprété comme dit de derrière la porte ou comme un phantasme de la femme, auquel elle répond par un "vous êtes mon premier plaisir" qu’il n’entendra jamais. »
67-ciné.gi : « Pouvez-vous nous parler de l'équipe technique avec laquelle vous avez travaillé sur Le temps des cerises ? »
Jean-Julien Chervier : « Sauf pour Jean-Paul Guirado, l’ingénieur du son, avec lequel j’avais déjà travaillé sur mon premier court métrage, je découvrais cette équipe. Nous n’avions que quatre petits jours pour tout faire et ils ont tous été d’une efficacité redoutable. J’ai déjà parlé de Jean-Jacques Bouhon, le chef opérateur, je pourrais évoquer également le magnifique travail des chefs décoratrices, Anne Lacroix et Géraldine Laferté, qui ont, en quelques jours, métamorphosé un vieil hôtel particulier désaffecté en une élégante chambre d’hôtel, aux couleurs du personnage féminin. Je voudrais également citer la scripte, Sandrine Bourgoin, dont les conseils m’ont toujours été précieux. Et ma productrice, Sylvie Brenet, dont c’était le premier film, et qui a fait preuve d’une grande maîtrise ! »
elvi67 : « Que pensez-vous de l'action Les Lutins du court-métrage qui participent à la diffusion et à la promotion du court-métrage en salles et quelle idée vous évoque le fait que Le temps des cerises puisse être vu en salle de cinéma ? »
Jean-Julien Chervier : « Les lutins sont au court métrage… bien plus que ce que les César sont au long. Non seulement ils permettent de reconnaître et de mettre en lumière le travail des comédiens et des techniciens, mais assurent aussi une diffusion des films dans les salles, un peu partout en France, et aussi à l’étranger. »
67-ciné.gi : « Quels sont vos projets à venir ou en cours ? »
Jean-Julien Chervier : « Je commence à préparer un moyen métrage intitulé Igloo, une histoire d’amour entre deux enfants dans un camp naturiste, et qui devrait normalement se tourner cet été, et je développe un scénario de long métrage, où il est toujours question de la (re-) naissance du désir… »
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Site internet de Jean-Julien Chervier***
remerciements à Jean-Julien Chervier et Elvi67
photo de Jean-Julien Chervier © Arnaud Delon
photos du court métrage © Jean-Jacques Bouhon
entretien © 67-ciné.gi 2006, tous droits réservés
photo de Jean-Julien Chervier © Arnaud Delon
photos du court métrage © Jean-Jacques Bouhon
entretien © 67-ciné.gi 2006, tous droits réservés