• Sans moi

Publié le par 67-cine.gi-2007













Sans moi drame de Olivier Panchot









Avec :

Yael Abecassis, Clémence Poésy, Eric Ruf sociétaire de la Comédie Française, Yannick Soulier, Vincent Martinez, Lorena Guerreau et Iroué Cedron

durée : 1h30
sortie le 10 octobre 2007

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Synopsis
Anna, jeune mère divorcée embauche une jeune fille, Lise, pour s’occuper de ses deux enfants. Quand cette petite étrangère entre dans l’intimité de sa maison, Anna est immédiatement séduite.
Mais elle va bientôt découvrir que Lise n’est pas une jeune fille ordinaire. Malmenée par la vie, Lise est la proie de dangereuses passions. Anna qui croyait être de taille à affronter les démons de Lise, va bientôt être rattrapée par les siens dans des zones fragiles et secrètes de son être…


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Entretien avec Olivier Panchot
- : « Pourquoi avoir choisi d’adapter le roman de Marie Desplechin ? »

Olivier Panchot : « Je n’avais pas lu le roman, c’est Marie Masmonteil, la productrice du film, qui me l’a fait découvrir. On est en lien depuis une dizaine d’années, on avait travaillé ensemble sur plusieurs projets dont des téléfilms et un documentaire. Elle me connaissait suffisamment en tant qu’auteur et à titre personnel pour savoir que j’allais m’intéresser à cette histoire. À la première lecture, j’ai effectivement été très touché par les personnages, par la manière dont cette jeune fille un peu paumée faisait vaciller les certitudes de cette femme plus mûre, plus installée. Cependant il y avait dans le roman des partis pris littéraires très forts et la question de l’adaptation devenait cruciale. C’est un roman à la première personne, avec des digressions et des ruptures dans la continuité du récit. »

- : « Quelle a été alors votre approche de l’adaptation ? »

O. P. : « Ce roman est assez autobiographique, je pense que par pudeur Marie Desplechin s’est un peu effacée pour faire le portrait de la jeune fille. De ce fait le personnage de la mère m’est apparu très intriguant, des questions troublantes se posaient… Pourquoi décide-t-elle de garder cette fille sachant ce qu’elle est ? Pourquoi prendre ce risque vis-à-vis de ses enfants ? Pourquoi est-elle si troublée par la présence de cette inconnue ?
J’ai décidé très vite d’inverser la proposition du roman : ne pas faire le portrait du modèle mais celui du peintre, changer radicalement la perspective. Le travail d’écriture, comme la mise en scène peut être une affaire de géométrie… En prenant cette option assez radicale, je me suis affranchi du poids du roman : il fallait réinventer la fiction secrète de cette femme. Libre à moi de m’approprier l’intimité du personnage et de la mettre en scène.
»

- : « La phase d’écriture a-t-elle été longue ? Avez-vous écrit seul ? »

O. P. : « Pour ce projet, j’avais besoin de m’affranchir des étapes traditionnelles de l’écriture d’un scénario pour m’approprier l’histoire à l’instinct. En un mois et demi, j’ai écrit une première version dialoguée, avec les personnages, les décors, le découpage de l’histoire. Sur cette base j’ai travaillé pendant un an pour ajuster le récit, affirmer les partis pris, puis j’ai fait intervenir une scénariste, Gladys Marciano. J’avais besoin de recul et du regard d’une femme sur cette histoire, comme pour valider mes hypothèses. Paradoxalement avec Gladys nous avons surtout éprouvé le besoin d’assouplir certains partis pris, pour donner plus de fluidité au récit et de retravailler le personnage masculin. »

- : « Justement, en découvrant le film, de part sa sensibilité, on peut penser à un film de femme. Qu’en pensez-vous ? »

O. P. : « Je ne pense pas qu’il y ait des films de femmes, des films d’hommes. Ce qui compte c’est la justesse des personnages, l’acuité du regard. Je pense aux films de Truffaut, en particulier L’histoire d’Adèle H, ou encore Persona de Bergman. Je pense aussi à La leçon de piano de Jane Campion. Voilà trois trajets de femme d’une force et d’une justesse incroyable. Parmi ces trois films y aurait-il un film plus féminin ou plus masculin que les autres ? »

- : « Il y a tout de même dans votre film une sensualité, une délicatesse particulière quand vous filmez ces deux femmes. »

O. P. : « J’ai beaucoup de plaisir à filmer des corps en mouvement. Je suis particulièrement sensible à la manière dont une comédienne se déplace, la manière dont elle maîtrise son corps dans l’espace et comment elle se livre à mon regard. Je suis plus facilement bouleversé par un geste, une attitude, que par la manière dont le texte est joué. En général si l’attitude est juste, le texte l’est aussi. La mise en scène c’est aussi une affaire de chorégraphie. »


- : « Dans le roman la jeune fille prend des cours de cirque pour devenir clown, vous avez préféré la danse, pouquoi ? »

O. P. : « Justement pour les mêmes raisons. Je trouve que la danse, et en particulier la danse contemporaine, convenait plus à mon appétit de corps en mouvement. Par ailleurs, à ce moment de l’histoire il était important que le personnage de Lise retrouve la maîtrise de son corps. J’ai fait appel à une jeune chorégraphe très talentueuse, Kaori Ito qui avait travaillé avec Philippe Découflé. Je ne lui ai pas simplement demandé d’intervenir sur les scènes du cours de danse, mais sur d’autres séquences. Je pense à la séquence où l’on découvre Lise dans la boîte de nuit mais aussi à cette scène de nuit où Lise s’introduit dans la chambre d’Anna pour se lover dans ses bras. Nous avons tourné la séquence en faisant jouer les comédiennes à l’envers, c’est Kaori qui a réglé chaque mouvement. Tout a été remis à l’endroit en postproduction. Je pense que les spectateurs n’identifieront pas clairement ces artifices, cependant il émane de la séquence une sorte d’inquiétante étrangeté qui était essentielle pour cette étape de l’histoire. J’avais besoin que le spectateur partage avec le personnage d’Anna un doute, ressente une ambiguïté quant à la réalité de ce moment. »

- : « A plusieurs reprises il y a ce type d’ambiguïté dans le film, cela vient-il du roman ? »

O. P. : « Non. En tant que metteur en scène j’avais très envie de mettre en scène des images mentales. C’est forcément très risqué d’un point de vue esthétique, cependant je voulais inviter le spectateur au coeur des zones les plus secrètes d’Anna. J’avais envie de mettre en images ces moments fragiles où elle perd ses repères. Je voulais que le spectateur éprouve les mêmes incertitudes qu’Anna quant à la réalité de ces visions. Ce sont des moments très particuliers au cinéma. On peut ressentir de manière très concrète les mêmes émotions que le personnage, non pas par empathie mais en partageant exactement la même expérience visuelle et auditive. »

- : « D’un point de vue visuel vous avez filmé Paris de manière assez particulière. »

O. P. : « J’ai voulu recomposer un Paris singulier autour de l’appartement d’Anna. Il fallait que la perception des lieux soit en phase avec son état psychique. Nous avons fait en sorte de pouvoir tourner les extérieurs dans des rues étrangement désertées, comme en retrait du monde, tout en étant situé à proximité d’un parc, en lien avec une forte présence végétale. Avec Barbara Bascou, la monteuse, nous avons décidé d’imposer à l’intérieur du récit des plans larges de la ville où le parc fait tache, comme un intrus. Il s’impose alors comme un élément perturbateur, un peu sauvage, qui rompt avec l’ordonnance rigide de l’architecture bourgeoise Haussmannienne. Ces plans interviennent comme d’étranges ponctuations : ils ne participent pas directement à la narration, mais par effet d’accumulation, ils semblent la contaminer. Pour renforcer cette sensation organique, nous avons choisi le parc des Buttes Chaumont. Ce jardin paysager a été conçu sous l’influence de l’esthétique romantique de la fin du XIXème. Contrairement aux autres parcs parisiens, il échappe à la rigueur géométrique des jardins à la française. Il est plus accidenté, la végétation semble ici plus libre, moins domestiquée. Pour la séquence où Yael part à la recherche de ses enfants dans ce parc, nous avons filmé Anna dans un décor vidé de toute présence humaine. De plus, avec Pierre Milon, mon chef opérateur, nous avons choisi des cadrages de manière à ce que l’on ne puisse pas identifier clairement le lieu. Anna semble alors totalement isolée, comme perdue dans un espace sauvage, presque hostile où tout pourrait arriver. A l’inverse, pour la séquence de fin tout semble être revenu à une certaine normalité, cette même végétation apparaît comme plus légère et transparente… »

- : « Comment avez-vous travaillé la bande son et la musique sur le film ? »

O. P. : « Nous avons travaillé dans plusieurs directions. Pour certaines séquences, j’avais envie d’une musique symphonique, assez large qui enveloppe la bande son de la séquence. Je pense en particulier à l’ouverture du film, qui sonne comme un requiem et qui impose une gravité qui colore immanquablement toute la première partie du film. Par ailleurs j’avais aussi envie d’une présence musicale, beaucoup plus fragile à l’image du personnage d’Anna. J’ai voulu que les silences prennent autant de place que les notes à l’intérieur de la composition. Arvo Pärt est un maître en la matière, et la direction était très claire en ce sens. Il a fallu à Nathaniel Mechaly beaucoup de talent pour se plier à cette direction artistique, tout en composant une musique originale qui se démarque de cette influence. J’avais avec Nathaniel des échanges très riches et précis, sur les choix d’instrumentations, sur les structures des compositions jusqu’à la question de l’interprétation. Je pense en particulier au pianiste qui devait à peine effleurer les touches pour laisser plus de places aux résonances de la note qu’à son attaque. Pour certaines séquences, je voulais que la musique soit totalement perméable à la bande son et participe à part égale à l’atmosphère de la scène. J’avais pour cela demandé au monteur son, François Méreu, de composer des partitions sonores qui devaient s’accorder d’un point de vue harmonique avec les musiques de Nathaniel. Grâce à cette méthode, quand nous nous sommes retrouvés au mixage avec Nathalie Vidal, nous avons pu équilibrer un matériel très riche avec précision. »


- : « Comment avez-vous choisi les comédiennes ? »

O. P. : « J’avais déjà rencontré Clémence Poésy sur un casting pour un autre projet, elle m’avait laissé une très forte impression. Clémence a une élégance étrange, presque aristocratique assez rare parmi les comédiennes françaises de sa génération. On avait refait des essais ensemble pour le film, puis je l’ai vue dans Marie Stuart, un film anglais où elle avait le rôle-titre. J’ai trouvé qu’elle avait une palette et une justesse de jeu extraordinaire. Pour interpréter un personnage fragile, à la dérive, je trouvais intéressant qu’elle ait une force, une grâce naturelle qui la sauve quoi qu’il arrive. Avec Marie Masmonteil et Denis Carot, les productreurs, nous avons très vite été convaincus de la pertinence de ce choix, il fallait cependant trouver l’interprète pour le rôle d’Anna et s’assurer que le couple fonctionnait. Pour le personnage d’Anna je savais que c’était un rôle psychologiquement très dur à assumer pour une comédienne : une mère seule, prise dans le tourmente de la dépression, insatisfaite sur le plan professionnel, affectif, sexuel. J’ai senti très vite qu’il me faudrait trouver une comédienne courageuse, prête à se lancer avec un inconnu sur un rôle difficile. Après plusieurs mois de rencontres infructueuses, nous avons envisagé d’élargir le champ de nos recherches à des comédiennes étrangères. Puis il y a eu un déclic, j’avais été bouleversé par l’interprétation de Yael Abecassis dans Kadosh d’Amos Gitaï. Elle avait déjà travaillé avec Marie Masmonteil sur deux films dont Va, vis et deviens. Le hasard a fait que Yael , qui vit à Tel Aviv, était de passage à Paris. Elle a lu le script : elle était émue, intriguée, un peu effrayée aussi. Tout en lui parlant je l’imaginais dans chaque séquence et je voyais le film, c’était une évidence, il prenait corps. Par la suite, je suis allé la voir chez elle, en Israël, puis nous avons fait des essais avec Clémence, le face à face était très troublant : on a tous senti que quelque chose de très singulier pouvait se passer sur ce film, on s’est tous jetés à l’eau… »

- : « Et en ce qui concerne le personnage de Thierry ? »

O. P. : « À propos de ce personnage je voulais que le spectateur ait des sentiments contrastés, parfois même contradictoires. En apparence il semble assez lisse, mais plutôt sympathique, aimable. Pourtant, au fur et à mesure que l’histoire avance, on comprend qu’il cache son jeu, la vérité apparaît par bribes. Pour mettre Anna en garde, il lui révèle assez maladroitement qu’il a couché avec Lise, mais ce n’est pas tout, brutalement on le retrouve avec Lise dans ce bar un peu sordide. On découvre alors sa part d’ombre, Thierry est un animal blessé, terriblement agressif. Plus les mots sont durs plus ils révèlent son incapacité à tourner la page, sa blessure est à vif. On peut être alors simultanément révolté par sa violence et touché par sa détresse. Une scène comme celle-ci est très difficile à interpréter. Il faut un comédien très fin et très puissant pour faire coexister des émotions aussi contradictoires. Pendant les essais Eric a tout de suite trouvé le ton juste, l’audace aussi. Avec les deux comédiennes il a su prendre sa place avec élégance et défendre un personnage sur le fil du rasoir. »

- : « Avez-vous beaucoup parlé de leur personnage avec les comédiennes ? »

O. P. : « Non, très peu, juste ce qu’il est d’usage de raconter aux comédiens pour les rassurer… En matière de direction d’acteurs, je n’aime pas faire de psychologie, ça les enferme dans des schémas qui laissent trop peu d’espace de liberté. En revanche je suis très précis sur les gestes, les déplacements, le rapport au cadre, le tempo du texte, en fait avec tout ce qui a avoir avec les mécaniques de jeu. En étant très technique, je laisse du champ ailleurs. Mais ce qui importe plus encore c’est la manière dont je leur parle, la distance que je place entre elles et moi, la manière de les toucher, de les regarder, c’est ça qui va conditionner leur jeu. Les comédiennes se sentent alors plus libres dans leur interprétation et plus cadrées sur le plateau, au sens figuré comme au sens propre. »

- : « Comment résumeriez-vous l’histoire ? »

O. P. : « Dès la première séquence d’entretien, on découvre une femme qui a l’air assez sûre d’elle. Elle voudrait croire qu’elle contrôle parfaitement sa vie. Elle veut être forte et pragmatique pour tenir, face à toutes ses responsabilités, mais aussi face à toutes ses fragilités. En l’état, elle ne peut envisager d’autres alternatives. Pourtant dès cette première rencontre, Anna fait un premier écart. Contre toute attente, (Lise semble bien étrange et instable) Anna fait un choix très instinctif, elle l’embauche sur le champ. Cette décision semble alors irrationnelle puisqu’elle est motivée par la tentation inconsciente d’échapper à un mode de fonctionnement qui l’étouffe. Anna sent qu’avec Lise quelque chose va se déplacer, quelque chose va enfin lui arriver. Avec la venue de cette inconnue c’est peut-être aussi de la fiction qu’elle laisse entrer dans sa vie. Au contact de cette jeune femme elle va apprendre à accepter ses fragilités, elle va lâcher prise au risque de se perdre. La présence de Lise va alors lui devenir si indispensable qu’elle va entrer dans une relation de dépendance qui n’est pas étrangère à l’addiction de Lise. Cette dépendance va mettre en péril son équilibre psychique. Son monde vacille, sa réalité se fissure. C’est ce trajet-là qui m’a passionné, accompagner une entreprise de déconstruction pour trouver par delà le bien et le mal une autre forme d’humanité, plus fragile peut-être, mais plus vive aussi. Il y a parfois des étapes dans une vie où l’on est tenté par le chaos pour peut-être entrevoir enfin le bleu du ciel. »

Entretien réalisé en collaboration avec Pascale et Gilles Legardinier


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Fiche technique
Réalisateur : Olivier Panchot
Scénario : Olivier Panchot
Avec la collaboration de : Gladys Marciano
Librement adapté du roman de : Marie Desplechin (Editions de l’Olivier)
Assistante réalisateur : Rafaële Ravinet-Virbel
Image : Pierre Milon A.F.C.
Son : Olivier Mauvezin, François Méreu et Franck Rubio
Montage : Barbara Bascou
Mixage : Nathalie Vidal
Décors : Mathieu Menut
Costumes : Emmanuelle Pertuis
Maquillage coiffure : Silvia Carissoli
Musique originale : Nathaniel Mechaly
Directeur de production : Hervé Duhamel
Producteurs : Marie Masmonteil et Denis Carot
Une production : Elzévir Films
Avec la participation de : Canal + et Ciné Cinéma et du Centre National de la Cinématographie,
en association avec : Uni Etoile 4 et Poste Image
avec le soutien de : la Procirep et de l’Angoa-Agicoa
Développé avec le soutien : du programme Media de la Communauté Européenne
Elzévir Films est membre d’Unifrance
Vidéo : France Télévision Distribution
Ventes internationales : Films Distribution
Une distribution : Haut et Court

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à
Carolyn Martin-Occelli et Marion Tharaud
logos et textes © www.hautetcourt.com
© photos Olivier Panchot

Publié dans PRÉSENTATIONS

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