• Nos amis les terriens

Publié le par 67-cine.gi-2007













Nos amis les terriens comédie dramatique de Bernard Werber




avec :
Audrey Dana, Boris Ventura, Annelise Hesme, Thomas Le Douarec, Sellig, Shirley Bousquet, Viktoria Li,, Tonio Descanvelles et la voix de Pierre Arditi


durée : 1h25
sortie le 18 avril 2007

***

Synopsis
Que pourraient bien penser les extra-terrestres s’ils pouvaient nous observer ?
Nos amis les terriens est précisément un film extra-terrestre sur l’étude de nos cités et de nos comportements.
Deux couples tests sont tout particulièrement étudiés…


***

Claude Lelouch : « Tout a commencé par le court métrage de Bernard. Dix minutes de jubilation pour deux jours de réflexion.
Il y avait déjà dans ces dix minutes tout ce qu’un cinéaste peut passer une vie à rechercher pour parler du plus personnel au plus universel… Une construction qui pouvait nous permettre, à tous les deux, de nous amuser. Lui comme réalisateur (il en rêvait) et moi comme producteur (je ne l’avais pas fait depuis 13 ans).
L’idée originale de Bernard me semblait tellement évidente que j’avais le sentiment que tout le monde allait nous suivre… Et une fois de plus, on s’est retrouvés seuls face à l’originalité.
C’est à partir de cet instant que notre aventure a commencé…
Et comme l’aventure sera toujours l’aventure, je suis heureux d’avoir permis à Bernard de vous offrir ce film, qui, je l’espère, va vous interpeller par sa singularité, vous bouleverser par les thèmes abordés et vous faire rire et pleurer par tous les paradoxes de ces hommes et ces femmes qui, observés par des extra-terrestres, n’en finissent pas de réinventer la vie.
»

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Entretien Boris Cyrulnik - Bernard Werber
Gwen Douguet : « Question peut-être un peu saugrenue : le cinéaste est-il un éthologue à sa manière ? »

Boris Cyrulnik : « C’est une question pertinente. Je pense que tous ceux qui aiment observer les autres, qui s’intéressent aux autres, sont des éthologues. Donc les cinéastes le sont effectivement. Surtout les cinéastes de rue parce que la rue est le milieu naturel de l’homme, et ce film est plein de séquences de rues. Je n’avais pas pensé à cette question, mais l’on peut donc y répondre par oui. Tout cinéaste est un éthologue. »

G. D. : « Bernard Werber, vous êtes un observateur de l’homme, vous avez commencé par l’écrit, enchaîné avec une pièce de théâtre Nos amis les humains et vous portez aujourd’hui votre regard sur l’espèce via le cinéma, est-ce un cheminement logique ? »

Bernard Werber : « À la base il y a cette question : Qui sommes-nous ? Elle se posait déjà dans Les Fourmis ou dans L’Empire des Anges. La seule manière d’y répondre était de placer le regard autour de l’homme. Dans Les Fourmis c’est l’infiniment petit qui nous regarde. Dans L’Empire des Anges, ce sont les anges qui nous regardent d’en haut. Dans la série des extraterrestres, j’ai voulu placer la caméra au plus loin, au téléobjectif. J’ai eu pour la première fois cette idée en 1992, je l’ai traitée dans Leçons de choses, une nouvelle que j’avais proposée sur Internet. Par la suite, c’est devenu Apprenons à les aimer dans le recueil de nouvelles L’Arbre des possibles, puis Nos Amis les humains en court métrage et sous forme d’une pièce de théâtre et enfin Nos Amis les Terriens, le long métrage produit par Claude Lelouch. Avec toujours cette idée : trouver une perspective non-humaine pour parler de nous, un miroir plus ou moins déformant selon sa position et son angle. C’est vraiment une recherche sur l’homme ; j’ai essayé d’en sortir tout ce que je pouvais. Vous partez de l’homme et de la femme, une sorte d’Adam et Ève et vous creusez la notion de couple. Vous l’explorez au travers de ses peurs, de ses fantasmes mais à aucun moment il n’est question de religion. »

G. D. : « Vous qualifiez juste les églises de vaisseaux antiques ? »

B. W. : « La religion est un concept tellement bizarre, tellement magique que je ne vois pas comment les extra-terrestres pourraient l’appréhender. Nous sommes partis de règles précises sur ce que comprennent de nous les extra-terrestres et sur ce qu’ils ne comprennent pas. Dans le postulat de base, ils sont plus intelligents que nous, humains. Ils ont donc probablement compris des choses que nous n’avons pas assimilées. Il est peu probable qu’ils appréhendent la religion telle que nous la vivons. Nous sommes encore dans la superstition alors qu’eux seraient plutôt dans une notion de connaissance réelle de l’univers. »

B. C. : « Tu leur fais quand même dire que les terrestres croient que l’âme et le corps sont une seule entité, alors qu’eux, savent que l’âme survit au corps pendant très longtemps. C’est une petite allusion métaphysique sinon religieuse. »

B. W. : « C’est le seul petit clin d’oeil à la religion et il émane du rituel de la mort. Enterrer les cadavres, finalement, c’est incompréhensible pour eux. Pour nous, c’est une évidence. Mais cela sous-entend un irrationnel, une dimension sacrée du cadavre. Alors que chez les rats ou d’autres animaux, ils mangent leurs cadavres. »

B. C. : « Tout à fait. Et la première sépulture est probablement à l’origine de l’art et de la religion. On ne peut pas jeter le corps de quelqu’un que l’on aime encore. Il est mort dans le réel mais vit encore dans notre mémoire et donc on lui érige une sépulture. C’est la naissance de l’esprit religieux, l’esprit métaphysique… Alors qu’on voit bien que son corps est là, le défunt vit ailleurs, il vit encore en nous. Ne pouvant le jeter, on va peindre des cailloux, disposer des fleurs. On fait du théâtre. Donc probablement la religion et le théâtre naissent de l’insupportable de la représentation de la mort. En conséquence tu l’as presque mis en scène à ton insu. »

B. W. : « Cette scène de l’enterrement, telle qu’elle arrive dans le film, est une scène d’apothéose. Toute cette histoire de l’humanité, que mes héros vivent en réduction dans la cage, sert finalement à créer un monde imaginaire de l’après vie, à construire une autre notion, une pyramide. Il y a là un autre clin d’oeil à la religion. Ils veulent s’élever pour essayer de voir ce qu’il y a au-dessus. C’est une référence à la tour de Babel. Dans le texte original, il est dit que le roi Nemrod, un roi chasseur, l’avait faite construire pour approcher Dieu. Une fois arrivé au sommet, il a levé les yeux et a dit : Je ne vois toujours pas Dieu. Il a alors demandé qu’on lui donne un arc et a tiré une flèche vers les nuages en s’exclamant : Je suis si haut, je devrais le toucher ! Dans le film, ils construisent leur tour de Babel pour essayer d’approcher, non pas Dieu, mais leur dieu qui serait, pour eux, les extra-terrestres qui les ont capturés. Leur questionnement religieux serait : qu’est-ce qu’il y a au-dessus qui nous manipule, nous nourrit, a la possibilité de nous enfermer, de nous kidnapper et peut-être probablement de nous tuer ? Cela fait des extraterrestres le centre de la religion de la cage. »

G. D. : « Peut-on faire un rapprochement entre le poulet, l’animal que vous montrez, qui se retrouve déplumé et l’homme que vous déplumez à votre manière au fur et à mesure du récit ? »

B. W. : « Oui. La scène du poulet est pour moi très importante. Elle est faite pour déstabiliser. Elle est choquante. En même temps, il y a cette idée que l’homme finira par se comporter envers lui-même comme il s’est comporté avec les autres animaux. Donc regardons les abattoirs ! A un moment donné, c’est ce qui se retournera contre nous parce que l’homme est son unique prédateur. Cette scène des poulets me semble importante pour montrer aussi notre difficulté à communiquer avec les autres espèces. »

B. C. : « Tu sais qui a écrit ce que tu viens de dire ? Claude Lévi-Strauss et Marguerite Yourcenar qui l’ont presque dit avec tes mots. Donc tu es en bonne compagnie. »

B. W. : « Au bout d’un moment, surtout concernant les abattoirs, peu d’humains ont ce privilège de savoir exactement comment ont été traités les animaux qu’ils mangent. Peut-être aussi que peu d’humains ont envie de le savoir. »

B. C. : « Lorsque j’étais en neurochirurgie à Paris, je ne pouvais pas manger de cervelle. Quand on m’en servait, je voyais avant tout un cerveau, même si il y avait du beurre, des herbes dessus. Je ne pouvais pas en manger. Parce que ce n’était plus un produit alimentaire, c’était un morceau d’être vivant. Donc je ne pouvais pas manger un morceau de cadavre. »

G. D. : « Vous aviez l’impression de manger un morceau d’intelligence ? »

B. C. : « Non, une partie d’un être vivant. L’intelligence est entre nous. Ni en vous, ni en moi, mais entre nous. C’est-à-dire que si vous me trouvez intelligent, ce qui est possible, c’est que vous m’avez rendu intelligent. Et inversement. »

G. D. : « Vous dites souvent que nous ne sommes que ce que nous renvoie le regard de l’autre ? »

B. C. : « Tout à fait. Nous sommes, non seulement ce que l’on est par rapport au regard de l’autre, ce que Bernard montre dans son film, mais aussi ce que l’autre fait de nous. C’est-à-dire que vous pouvez très bien me rendre idiot, m’hébéter, me faire taire, me transformer en produit alimentaire, m’égorger, m’enfermer, me déporter, me rééduquer, vous pouvez faire ce que vous voulez à condition d’être au sommet de la pyramide. C’est-à-dire d’avoir l’armée, le pouvoir, l’argent, l’emprise. Comme on le voit dans les relations de dominants. Dans un milieu écologique sans culture, on est dominant par la force physique. Mais dans un milieu cultivé nous sommes dominants par le diplôme, le portefeuille et moins par la force physique. »


G. D. : « Y aurait-il un déterminisme ? »

B. C. : « Il y a un million de déterminismes. Ils se trouvent dans les transactions entre nous et ce qui est autour de nous. Donc, on est pétri, façonné par ces multiples déterminismes et c’est pour cela que je trouve l’hypothèse de Bernard très amusante. C’est une hypothèse éthologique. Renverser la perspective et observer l’homme comme si nous n’en étions pas. Donc tout devient étrange. Le banal disparaît. Tiens, pourquoi courtise-t-il la fille ? Pourquoi y a-t-il un ballon dans les airs ? Pourquoi s’agite-t-il ? Le banal disparaît. Comme lorsque nous observons un animal vivant dans son milieu naturel où tout devient étonnant. Tiens, pourquoi hérisse-t-il ses plumes ? Pourquoi pousse-t-il ce cri étrange ? C’est presque un film d’anthropologie, naturaliste, et non pas structuraliste comme on dit. Il s’intéresse aux animaux. Ce film pose une quantité de questions anthropologiques, c’est-à-dire sur la condition humaine. »

B. W. : « Des images t’ont choqué ? »

B. C. : « Oui, mais tu as fait exprès de le faire. On rit souvent dans ce film, d’un rire un peu angoissé parfois… Quand on voit deux squelettes faire l’amour, c’est assez amusant de voir le pénis dans le vagin et le préservatif éclaté. D’ailleurs, Rimbaud a écrit des poèmes sur des squelettes faisant l’amour. Une fois encore, tu nous dis de regarder l’homme comme si c’était une chose, puisque les extra-terrestres ne savent pas encore se mettre à la place de l’homme. Donc, ils nous regardent comme si nous étions des choses, des organes en train de se pénétrer, des os en train de s’accoupler. »

G. D. : « Tout est désincarné avec cette approche ? »

B. C. : « On scientifise tout. Mais c’est exactement ce que nous faisons avec les animaux ou avec les étrangers. Quand on ne parle pas la même langue, qu’on n’a pas la même couleur, la même religion, la même pensée, on a tendance à chosifier l’autre. Puisqu’on ne parle pas sa langue, où plutôt puisqu’il ne parle pas la nôtre, il n’est pas tout à fait un humain. »

G. D. : « Vous dites que l’homme oisif s’ennuie, qu’il adore les conflits. Ne peut-il vraiment vivre sans ? »

B. W. : « Peut-être que le conflit, lui permet de savoir où il se place : qui est au-dessus, qui est en dessous. J’ai travaillé en entreprise pendant dix ans, cela m’a d’ailleurs permis de le raconter en filigrane dans le film. J’ai vu chaque clan s’essuyer les pieds sur ceux des autres pour voir jusqu’où ils pouvaient aller avant de recevoir une claque. Avec le besoin de connaître cette limite. Dès le moment où ils s’apercevaient que le territoire était balisé, ils reculaient. Donc quelque part, ils définissaient un territoire. Quand j’étais journaliste, j’avais mon domaine et je ne pouvais parler d’un autre sujet sans risquer d’empiéter sur la zone d’un autre. C’était territorial. Jusqu’au moment où cela a atteint un niveau d’abstraction total : on n’écrivait plus du tout d’articles, on ne faisait que gérer des conflits territoriaux. Avec des chefs qui, non seulement n’écrivaient plus d’articles, mais au final préemptaient quand même les territoires… J’ai fini par m’enfuir ! »

B. C. : « Dans les milieux scientifiques, un chef qui choisit son territoire, la biologie, les neurosciences ou la psychologie, prend le pouvoir parce qu’il a des diplômes. Le diplôme représente aujourd’hui l’épée des siècles passés. Le chef a des lieutenants qui veulent grimper dans la hiérarchie donc, qui font écho à la voix du maître. Et si tu marches sur leurs plates-bandes, c’est forcément que tu es moins légitime, moins compétent puisque tu passes d’un domaine à l’autre, alors qu’eux n’en ont qu’un, leur spécialité ! Ils te font savoir que tu es sur leur territoire. Ils te chassent, t’agressent, te mordent. Dans les milieux scientifiques aussi, c’est donc la même chose. »

B. W. : « Il y a aussi dans le film l’allusion au bouc émissaire, c’est-à-dire au pouvoir qui se construit sur la dénonciation d’une minorité, qu’il faut persécuter au nom de l’ordre du groupe. Je ne sais pas si cela se retrouve chez les animaux ? Chez l’homme, on voit cela dès les premières sociétés : définir l’étranger, celui qui est différent, qu’on va exclure afin de pouvoir nous définir nous-mêmes. »

G. D. : « La peur entre-t-elle en jeu ? »

B. C. : « Tout à fait. La peur est nécessaire pour construire un groupe. Une peur consciente parce qu’elle est utilisée comme telle par le dominant et ses lieutenants. D’abord parce qu’elle érotise le plaisir d’avoir peur. On voit ainsi des jeunes qui prennent des risques puis sont complètement euphorisés. De plus, si on s’associe pour affronter la peur, on va s’aimer, donc, elle est un liant affectif. Et enfin, si on triomphe ensemble de quelqu’un qui vous a fait peur, on va se rassurer mutuellement, se sentir mieux. Donc, la peur est nécessaire. Elle crée des sensations d’évènements. Comme l’a dit Bernard, on a besoin d’avoir peur. On a besoin d’un ennemi commun, celui qui n’a pas la même couleur de peau, la même religion, le même accent, celui qui n’est pas identique. C’est pourquoi, souvent dans ces groupes-là, il faut porter le même uniforme, avoir les mêmes tics et comportements. Et alors, si par bonheur, il y a un bouc émissaire, ou même un animal émissaire – je crois que les poules ont des poules émissaires, les singes aussi en ont, quand on écarte l’animal en question, le groupe explose de violence et il lui faut plusieurs mois pour se réorganiser, se régulariser et désigner un nouveau sacrifié. C’est le mot important. Sacrifice d’un membre du groupe… »

G. D. : « Une tête de turc ? »

B. C. : « Voilà ! On pourra dire que le mal vient de lui puisqu’on est merveilleux et pourtant, on se sent mal. Donc c’est la faute d’un autre. C’est à cause de lui puisqu’il est différent. René Girard a très bien expliqué cette fonction du bouc émissaire, c’est un excellent solidifiant des groupes. »

G. D. : « En cage, s’enferment-ils dans d’autres cages intérieures ? »

B. W. : « La cage a montré qu’il y avait une sorte de pudeur plus difficile à faire tomber. Tout du moins chez les deux principaux personnages. Ensuite, c’est au spectateur d’interpréter. Les deux capturés sont plus dans la résistance au laisser-aller que ceux restés en milieu naturel. Peut-être parce qu’en milieu naturel nous sommes aussi habitués à avoir des relations faciles alors que la situation provoquée par la cage, sous la menace d’une observation inconnue, incite à plus de prudence et de tension. »

B. C. : « Ce sont les deux filles qui ont incorporé les règles le plus profondément, et ce sont les deux hommes qui tentent leur chance en premier. Les deux femmes d’abord les repoussent, jusqu’au moment où elles sont suffisamment anxieuses pour les solliciter à leur tour. Beaucoup de féministes disent que les filles sont beaucoup plus soumises aux contraintes culturelles. Et c’est vrai qu’elles intègrent beaucoup mieux les règles culturelles. Par exemple, à l’école, deux garçons sur trois commettent des petites transgressions alors que les filles ne sont que 20 % à le faire. Ou bien les filles se soumettent plus à la culture ou la culture les soumet plus ? »

B. W. : « Peut-être, aussi, parce que ce sont elles qui doivent transmettre l’éducation ; on est sûr qu’une mère va éduquer son enfant, le père pas toujours… »

B. C. : « C’est peut-être là une contrainte : effectivement, chaque fois qu’un homme et une femme font l’amour, c’est toujours la femme qui, statistiquement, tombe enceinte ! Donc l’engagement n’est pas le même. Peut-être est-ce pour cette raison que les femmes internalisent mieux les codes culturels, pour mieux les transmettre… »

G. D. : « En voyant un tel film, vous qui travaillez sur la matière humaine, avez-vous appris quelque chose sur l’être humain, découvert un autre visage, une autre image ? »

B. C. : « Je me suis amusé à voir comment on pouvait regarder un être humain comme si on était le Persan de Montesquieu, un complet étranger. Comment peut-on être Persan ? Comment peut-on être humain ? Qu’est-ce que ce mystère d’être un être humain ? C’est pour cela que l’hypothèse d’observation de Bernard est très astucieuse. Elle m’a beaucoup amusé. Effectivement, comment percevoir l’être humain en deux séquences, trois gestes, deux mots. Là, il y a des illustrations très stimulantes. »


G. D. : « Le propos par moments n’est-il pas réducteur, réduction rendue obligatoire par l’exercice cinématographique, l’outil employé, l’image ? »

B. C. : « Bernard Werber nous propose un schéma et des questions : comment fabrique-t-on de la culture, comment réagit-on quand on est observé de l’extérieur ? Est-ce que vraiment quand il observe, l’observateur ne modifie pas la condition de ceux qu’il étudie ? Donc, c’est un film qui pose des questions fondamentales de manière amusante, décalée, décentrée par rapport à nous-mêmes. On se trouve bien dans la situation des Persans qui découvrent les Européens, avec ces extra-terrestres qui scrutent les êtres humains. Tout devient stimulant et étrange. Mais effectivement ce sont des schémas de raisonnement, avec tout ce qu’ils peuvent comporter de simplificateur… et donc d’essentiel ! »

G. D. : « Bernard Werber parlait de miroir. L’écran sert-il de miroir, en nous renvoyant nos propres pulsions, nos propres défauts, nos fantasmes ? »

B. C. : « Quand on apprend à observer, l’autre sert de miroir, d’écran. Mais on n’apprend pas à observer. Nous observons la condition humaine avec nos idées – et donc avec tous nos préjugés – et pas avec nos yeux. La phrase simpliste type c’est : regardez, tous les Noirs se ressemblent. Et bien non ! Dès l’instant où on les connaît comme des hommes ils ne se ressemblent pas plus que nous. Mais quand on les observe avec un préjugé, ils se ressemblent effectivement tous. Bernard met exactement le doigt dessus. C’est-à-dire qu’avec son astuce il nous oblige à nous observer via le regard d’un autre, donc tout devient étonnant. »

G. D. : « L’oeil à ce moment-là devient plus fort que le prisme du mot ? »

B. C. : « Tout à fait. Il y a là un effet de loupe. Comme on regarderait des fourmis avec une loupe en remarquant que le poulet qui tombe du ciel est étrange. William Golding a écrit Sa Majesté des mouches. J’adore ce livre. Il a eu le Prix Nobel de littérature et il en avait aussi fait un film, avec un principe proche de celui de Bernard. Un naufrage se produit, les adultes meurent, les enfants survivent et arrivent sur une île déserte. Comment vont-ils apprendre à vivre ensemble ? Ils réinventent une société. Dans le film de Bernard, nous ne sommes pas sur une île déserte, mais dans la cage et sur Terre, sous le regard des extra-terrestres et à ce moment-là tout devient étrange. »

B. W. : « La cage est une île déserte en soi. Et, dans la cage, ils vont réinventer la société. »

G. D. : « Par rapport à votre vision de l’être humain, vous êtes optimiste ou pessimiste quant à son devenir ? »

B. W. : « Tous les matins, je lis le journal et j’ai un peu une vision planétaire qui m’intéresse. Et cette vision que nous renvoient les journalistes c’est : ça va de pire en pire. Donc en toute logique, voyant cela, on a de moins en moins d’eau douce, d’air, on est de plus en plus nombreux, les guerres se multiplient et donc je suis, sur le court terme, pessimiste. Mais ce que dit aussi le film, en filigrane, c’est que même si on casse tout, si on détruit tout, si on s’entretue, s’il ne reste que quelques dizaines d’êtres humains, ils ont au fond de leurs gênes une capacité à faire l’art, l’humour et l’amour. Potentiels qui font la beauté de notre espèce. Comme le disent les extra-terrestres, il faut se préparer à les rencontrer, à discuter avec eux car, malgré tout, ces humains sont des partenaires planétaires dignes d’intérêt. C’est tout le film : des extra-terrestres qui s’intéressent aux humains et qui finissent, somme toute, par les aimer. »

B. C. : « Mais, comment savent-ils que la planète est habitée par des êtres humains ? Parce qu’ils pourraient très bien décider que ce sont les vaches qui dominent la planète… On peut imaginer que, chez les extra-terrestres, les corps sont un signe de supériorité, donc en venant sur Terre ils feraient une déclaration de paix aux vaches ou aux éléphants ! »

B. W. : « Ce sera dans le deuxième épisode. C’est une question pertinente. Mais ce qui fait que les extra-terrestres pourraient penser que nous sommes l’espèce dominante c’est tout simplement l’ampleur de la déformation qu’opère l’homme sur son milieu naturel. Je n’aurais pas pris les vaches, mais au hasard les fourmis. Si quelqu’un débarque par hasard sur notre terre, il a plus de chance de tomber sur une fourmilière que sur une cité humaine. Les fourmis sont beaucoup plus nombreuses sur terre. Mais de nuit, on ne voit que les cités humaines. Nous sommes la seule espèce à pouvoir produire de la lumière, surtout d’une manière aussi intensive. »

G. D. : « Je voudrais poser à Boris la même question, pessimiste ou optimiste ? »

B. C. : « Je suis optimiste parce que je pense que l’on court à la catastrophe et que l’évolution, y compris de la biologie humaine, se fait toujours par catastrophes. Catastrophe, c’est cata : coupure et strophe : reprise… d’une autre manière d’être humain. Strophe, la poésie est scandée ainsi, il y a des scissions, des césures. Un début de vers sous-tend quelque chose et la deuxième partie est différente et il en résulte une évolution. Quelque chose change dans l’environnement et, il y a 65 millions d’années, les dinosaures disparaissent, catastrophe ! Mais, épanouissement des mammifères dont nous sommes issus. Aujourd’hui, il va peut-être se passer la même chose. Notre destruction actuelle de l’écosystème produira probablement une catastrophe ! Mais suscitera sans doute, l’apparition d’une nouvelle humanité, différente de celle filmée par Bernard. »

G. D. : « Peut-on voir aussi l’oeil de l’extra-terrestre comme celui de l’adolescent regardant le monde des adultes ? »

B. W. : « Oui, je dirais plutôt un oeil d'enfant. Dans la pièce de théâtre, on s’apercevait qu’au final, ceux qui regardaient les humains étaient des enfants extra-terrestres. Lorsque nous sommes enfant, nous ne sommes pas encore forgés, notre esprit n’est pas encore rentré dans des cadres et nous observons tout avec curiosité et émerveillement. Ces qualités disparaissent au fur et à mesure que l’éducation (qui est censée être un tuteur), nous fige, réduit notre angle de vision. Je verrais cela comme un tunnel. Quand nous sommes enfant, nous voyons tout l’horizon et, en devenant adulte, le tunnel commence à apparaître, nous indiquant la direction idéale. Du coup, notre vie a un sens, une direction, mais nous ne regardons plus sur les côtés. Dans Nos Amis les Terriens, c’est la vision de l’être qui voit de tous les côtés et qui peut placer son regard partout, rentrer partout. C’est un enfant à qui on offre la possibilité d’avoir un oeil qui vole, voit tout et en parle avec son innocence. »

G. D. : « Comment définiriez-vous votre film, ce n’est pas un film de science-fiction au sens hollywoodien du terme, pas un documentaire, c’est un ovni ? »

B. W. : « Oui un ovni, peut-être… En tout cas j’ai eu la volonté de faire quelque chose qui se différencie du regard habituel. J’ai essayé, comme dans mes livres, de donner à réfléchir aux gens. Mais ce travail de réflexion, je n’ai pas à l’accompagner. Pour chaque personne, ce film prendra un sens différent. Maintenant, je suis content de l’avoir fait avec Claude Lelouch. »

G. D. : « Vous l’avez fait sciemment ? »

B. W. : « Bien sûr. Il fallait un courage que je n’avais qu’à moitié et c’est Claude Lelouch qui a m’a porté à bout de bras, qui m’a dit d’aller au bout de mon système, qui m’a poussé chaque fois. Au lieu de faire trois pas il me disait d’en faire cinq. Il y a eu réellement, un travail de producteur actif qui m’a encouragé à aller au bout de mes audaces, de mes erreurs. Il ne m’a jamais dit : Fais comme tout le monde, filme ainsi. On n’a rien fait pour se rassurer. À chaque fois, entre la difficulté, l’audace et la sécurité notre choix allait vers l’inattendu. Ainsi, la scène de la naissance a gêné beaucoup de gens : autant ils sont habitués à voir, dans un film, des scènes de tortures qui n’en finissent pas, avec une petite musique guillerette en fond sonore, autant les gens vont se mettre la main devant les yeux ou quitter la salle en assistant au cinéma à la naissance d’un être humain – le plus beau moment d’une existence. Je considère qu’il fallait le faire malgré tout, maintenant je suis conscient de l’importance du challenge et du soutien que Claude m’a apporté. »

B. C. : « De toute façon, en tant qu’extra-terrestre toi-même, tu devais faire ce film ! »


***

Fiche technique
Réalisateur et scénariste : Bernard Werber
Directeurs de la photographie : Jérôme Peyrebrune et Stéphane Krausz
Ingénieur du son : Harald Maury
Monteur son : Jean Gargonne
Chef décorateur : François Chauvaud
Monteur : Stéphane Mazalaigue
Mixeur : Jean-Charles Martel
Effets Spéciaux : Stéphane Drouin
Compositeurs musique originale : Alex Jaffray et Loïc Etienne
Producteur : Claude Lelouch
Producteur exécutif : Jean-Paul de Vidas
Directeur de production : Do Combe


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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de



remerciements à
Carol Oriot-Couraye et Simon Lelouch
logos, textes et photos © www.lesfilms13.com
© photos Eric Robert

Publié dans PRÉSENTATIONS

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