• L’ennemi intime

Publié le par 67-cine.gi-2007













L’ennemi intime drame de Florent Emilio Siri







avec :
Benoît Magimel, Albert Dupontel, Aurélien Recoing, Marc Barbé, Eric Savin, Fellag, Vincent Rottiers, Lounès Tazaïrt et Abdelhafid Metalsi


durée : 1h48
sortie le 3 octobre 2007

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Synopsis
Algérie, 1959. Les opérations militaires s’intensifient. Dans les hautes montagnes kabyles, Terrien (Benoît Magimel), un lieutenant idéaliste, prend le commandement d'une section de l'armée française. Il y rencontre le sergent Dougnac (Albert Dupontel), un militaire désabusé. Leurs différences et la dure réalité du terrain vont vite mettre à l'épreuve les deux hommes. Perdus dans une guerre qui ne dit pas son nom, ils vont découvrir qu'ils n'ont comme pire ennemi qu'eux-mêmes.


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Une guerre qui ne dit pas son nom
Patrick Rotman explique : « Etrangement, j’ai une sorte de passion historique pour cette guerre et je travaille dessus depuis une trentaine d’années, mais je n’ai aucun lien personnel avec elle. Je pense que ces huit années (1954/1962) ont pesé par bien des aspects sur la mémoire et la conscience françaises. Cette guerre a été directement responsable de la fin de la Quatrième République et ce n’est qu’après 1962 que la France a pu entrer dans la modernité.
Le traumatisme pour les deux millions de soldats envoyés là-bas a longtemps été enfoui, longtemps occulté. Lorsqu’en 1990, Bertrand Tavernier et moi avons réalisé La Guerre sans nom, nous avons pu constater que nombre d’appelés d’alors n’en avaient jamais parlé à leur famille. J’ai toujours pensé qu’il fallait faire la lumière sur ce trou noir de notre mémoire. »
Le scénariste ajoute : « A partir du moment où Benoît, Florent et moi avons décidé de faire ce film, je l’ai écrit en quelques semaines, sans me soucier de la production. Imprégné de ce thème, des histoires que l’on m’avait racontées, qui m’ont donné des nuits de cauchemars, j’ai littéralement craché le scénario. J’avais le besoin impérieux de l’écrire, même si cela ne devait pas aller plus loin. »
Denis Pineau-Valencienne intervient : « Les films déjà réalisés autour de ce sujet l’ont été à la fin des années 60 ou au début des années 70, à un moment où le cinéma était très militant et chaque fois sur un mode strictement intimiste. Puis une certaine lassitude vis-à-vis de ce type de cinéma s’est installée, jusqu’à ce qu’on trouve une nouvelle façon d’aborder le sujet, sans manichéisme, en mêlant intimisme et grand spectacle. Peut-être fallait-il aussi qu’un homme comme Patrick Rotman arrive et fasse un travail d’authenticité fondamental. Nous avons eu cette chance et nous avons pu ouvrir des portes qui, sans lui, auraient été difficiles à franchir. »
Patrick Rotman reprend : « Lorsque j’ai écrit le scénario, je sortais d’une plongée d’un an et demi dans mon documentaire L’ennemi intime. J’avais visionné des centaines d’heures d’archives, recueilli des dizaines d’heures de témoignages, et j’étais complètement imprégné par le sujet. Il fallait donc que tout décante pour que le film puisse être ce qu’il est : une pure fiction. J’ai inventé les personnages. Mais presque chaque scène, chaque moment sont nourris par la réalité des détails des histoires que j’ai entendues et recueillies.
Ce qui m’a toujours intéressé, c’est la confrontation d’un homme, avec ses sentiments, ses valeurs, avec le tourbillon de l’Histoire. J’ai essayé de placer le film à la croisée du travail d’historien et d’un tempérament de conteur d’histoire. »
Le scénariste poursuit : « J’avais cette volonté minimaliste de traiter de la guerre d’Algérie à travers quelques individus. Je souhaitais prendre un microcosme de quelques hommes isolés perdus dans un coin de Kabylie et en montrer toutes les contradictions. L’idée de départ était d’observer le conflit à travers le prisme d’une section, et plus particulièrement d’un jeune lieutenant idéaliste confronté à la réalité de cette guerre qui va le bouleverser.
On est en 1959, un moment important puisqu’à l’automne le général De Gaulle a prononcé le mot d’autodétermination qui permet de commencer à espérer la paix. Sur le plan militaire, c’est une période de grandes opérations pour l’armée française auxquelles le Fln résiste, particulièrement en Kabylie où le terrain favorise cette résistance. »
Patrick Rotman ajoute : « Dès le départ, il était clair pour moi, et j’en ai très vite parlé avec Florent, que le film montrerait la réalité de cette guerre dans ce qu’elle a de plus concret et parlerait de ce qui se passe dans la tête de jeunes gens de vingt ans. Les deux aspects étaient indissociables. Projeté dans une telle guerre et confronté à la barbarie, chacun  réagit en fonction de ce qu’il sait, de sa culture, de sa religion, de ce qu’il est une fois mis à nu. Les barrières culturelles, sociales, humaines s’effondrent alors. On est dans une sorte de no man’s land où tout peut arriver. C’est le cœur du film. »


Patrick Rotman explique : « Pendant très longtemps, on a refusé le nom de guerre, en parlant de maintien de l’ordre, de pacification. Comme pour toutes les guerres où l’armée occupante est confrontée à la guérilla, c’est un ennemi invisible qu’il faut traquer, et le renseignement est primordial. On connaît parfaitement l’engrenage qui conduit aux interrogatoires musclés et à la torture pour obtenir ces renseignements. Il y a aussi la violence de l’adversaire. La malheureuse population algérienne est l’enjeu d’une bataille entre l’armée française et le Fln. Tous les deux, aussi violents, essaient avec leurs propres moyens de gagner cette population. C’est le caractère très particulier de cette guerre et des guerres de guérilla de l’époque. Le titre du film renvoie évidemment à l’ennemi qui est en chacun de nous et peut conduire n’importe quel individu normal à commettre des actes terribles. Il renvoie également au fait que cette guerre se déroule en Algérie, avec un adversaire  qui est français puisqu’à cette époque, l’Algérie, c’est la France. C’est une guerre intestine, intime. C’est une guerre coloniale mais aussi une sorte de guerre civile. Tous ces éléments la rendent extrêmement complexe, contradictoire, ambiguë et interdisaient de faire un film simpliste ou manichéen. Mon grand souci dans l’écriture du scénario a été de rendre compte de cette complexité des situations et des contradictions des individus qui s’y trouvent plongés. »
Patrick Rotman poursuit : « Cette guerre est un creuset dramatique exceptionnel où les passions humaines, politiques, se sont déchaînées dans un paroxysme incroyable. Cette espèce de chaudron brûlant où sont brassées toutes les passions humaines est la structure du film. Au-delà, il a une portée plus générale, avec une question que chaque spectateur se posera : que faire lorsqu’on est confronté à ce type de situation ? Ce débat a une portée universelle que l’on retrouve dans ce type de guerre, aujourd’hui encore. Jusqu’où la justesse supposée d’une cause permet-elle d’aller ? La fin justifie-t-elle les moyens ? »
François Kraus intervient : « Il faut se souvenir que le travail documentaire de Patrick Rotman est à l’origine du film. C’est un élément déterminant qui a motivé tous ceux qui se sont engagés sur le projet. Au-delà de notre passion pour l’histoire ou de la dimension personnelle, nous voulions recréer le choc ressenti par tous ceux qui ont vécu ces événements. Le documentaire nous a bouleversés. L’idée était de rendre ce conflit et les drames qu’il a entraînés toujours plus accessibles, qu’il soit possible d’en parler facilement. »

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Le lieutenant terrien par Benoît Magimel
- : « Vous êtes à l’origine du projet et votre implication dépasse de loin celle d’un comédien. Pourquoi ? »

Benoît Magimel : « C’est la première fois que j’initie concrètement un projet. J’avais déjà tourné deux films avec Florent et nous avions l’habitude de travailler sur ses scénarios. Je donnais mon avis sur les personnages. Travailler en confiance et à toutes les étapes est très agréable, passionnant. C’est un bonheur pour un acteur car se contenter d’attendre des propositions qui peuvent vous décevoir peut être frustrant. Même si Florent et moi avons une relation particulière, j’étais sûr qu’il était le cinéaste qu’il fallait pour ce film. Il m’a fait découvrir La 317e section, un film de guerre comme on en voit rarement, qui m’a époustouflé. Florent m’a beaucoup fait découvrir et nous avons des références communes. Nous avons un peu grandi ensemble.
Mon grand-père avait fait cette guerre mais personne n’en avait jamais parlé autour de moi. Cette période restait quelque chose de mystérieux qui, pourtant, a un impact encore énorme sur notre société d’aujourd’hui. J’étais troublé qu’on n’en ait jamais parlé à part dans certains films, dont celui de Pontecorvo sur
La bataille d’Alger. Même à l’école, on ne nous en dit que quelques lignes. Cela suscite forcément curiosité et intérêt. Pourquoi s’applique-t-on tellement à oublier ? Les Anglo-Saxons parlent de leurs conflits avec beaucoup plus de facilité et très rapidement : des films sortent depuis longtemps sur la guerre en Irak. J’ai toujours pensé, et je pense encore, que pour aller bien, il faut sortir les cadavres des placards et assumer ce que nous avons fait, même quand ce n’est pas à notre gloire, ou bien quoiqu’on en pense. »

- : « Quelle est votre motivation personnelle ? »

B. M. : « Pour moi, ce n’est pas une action militante, mais une action citoyenne – même si ce sont là des grands mots. Pour qu’une société aille bien, il faut pouvoir parler des choses qui dérangent, et la guerre d’Algérie dérange énormément. Nous en avons d’ailleurs eu la confirmation à travers les difficultés que nous avons rencontrées en préparant le film. »

- : « Comment avez-vous concrètement découvert la réalité de la guerre d’Algérie ? »

B. M. : « Le documentaire de Patrick Rotman est une base de travail fabuleuse, le document le plus intéressant, le plus fort qu’il m’ait été donné de voir à ce jour. Ces témoignages saisissants permettent de se rendre compte que cette guerre n’a jamais quitté tous ces gens qui vivent a priori normalement. Même s’il est difficile de réellement comprendre quelque chose qu’on n’a pas vécu, on peut s’en inspirer. J’ai gardé ce documentaire avec moi et je l’ai regardé continuellement pendant tout le tournage. »


- : « Pouvez-vous nous parler de votre personnage ? »

B. M. : « Le lieutenant Terrien est plein d’idéaux. C’est un humaniste, conscient qu’il faudrait négocier avec le Fln, améliorer le statut des Musulmans d’Algérie, l’équilibre entre les populations.
L’un des aspects qui contribuent à définir Terrien, c’est sa relation avec le sergent Dougnac. Une sorte de respect mutuel rentré les relie. J’aime les moments où ils s’observent comme deux cow-boys engagés dans un duel. Dougnac apprécie la jeunesse de Terrien, sa naïveté, ses grandes phrases qui ont pu être les siennes il y a quelques années. Mais au fond il donne déjà peu de crédit à son humanisme à la con – comme il dit – trop loin des exigences du terrain. Le vertige entre l’idéal et l’expérience en Algérie l’a laissé, lui, désemparé, ce qui le persuade vite que Terrien n’a
pas sa place ici.
Et effectivement Terrien va se heurter à la réalité du conflit et réaliser que rien n’est noir, rien n’est blanc, que tout est complexe. Il espère changer les choses mais c’est la guerre qui va le changer, le transformer au point de se perdre complètement. Son histoire est un véritable parcours au bout de l’enfer humain. Mises à l’épreuve du combat, ses valeurs morales ont cédé la place à la bête qu’il a en lui. Le titre
L’ennemi intime résume principalement cette expérience.
Jouer un tel personnage est passionnant.
»

- : « Comment avez-vous approché votre personnage ? »

B. M. : « Rentrer dans l’histoire et le personnage n’était pas compliqué. Le scénario était très bien écrit. Aussi complexe soit-elle, l’évolution du personnage était rendue clairement. De plus, quand on tourne dans la montagne, dans des conditions physiques très difficiles, rentrer dans des situations extrêmes n’est plus compliqué. Je voyais de jeunes acteurs, avec moins d’expérience, être là dès la première prise ! Le soleil, la poussière et ces paysages nous faisaient à tous le même effet !
Jouer une histoire, des situations qui n’ont aucune résonance dans la vie de tous les jours était par contre beaucoup plus difficile. On ne peut pas s’inspirer de sa propre expérience. On a des témoignages, beaucoup de choses pour apprendre et comprendre des parcours d’hommes, mais pas d’exemples personnels. C’est assez déstabilisant. On a alors besoin de se remettre en question, besoin d’un regard extérieur, mais surtout besoin du réalisateur.
»

- : « Jouer ce lieutenant vous a-t-il renvoyé à des cas de conscience personnels ? »

B. M. : « Je me sens proche de ce personnage par bien des côtés, tout simplement parce qu’il est fragile et je peux y trouver des résonances personnelles. Mais je n’ai pas connu de situation mettant si brutalement à l’épreuve mes valeurs.
Qui peut dire avec certitude ce qu’il aurait fait dans la situation de Terrien ? Son histoire nous parle de la faiblesse des hommes. Mais les héros, même discrets, existent aussi…
»

- : « C’est le troisième film que vous faites avec Florent-Emilio Siri. Qu’avez-vous vu évoluer en lui ? »

B. M. : « Florent a toujours eu une grande expérience technique mais il a encore gagné en maturité, en maîtrise. Il connaît bien son outil et sait l’utiliser avec intelligence. C’est ce qui m’avait frappé dès nos premières collaborations. Il a une énergie phénoménale, c’est un bourreau de travail. Son expérience aux Etats-Unis lui a encore beaucoup apporté. Aujourd’hui, il connaît mieux les acteurs, il les comprend et sait mieux les diriger.
Florent donne beaucoup de matériaux aux acteurs, auxquels il apporte un gros sac en leur demandant de piocher dedans. Il adore qu’on s’inspire de ce qu’il donne, qu’on y travaille, qu’on trouve des détails.
Sur un plan plus personnel, avec Florent, débarrassés du superflu, sans problème d’ego, on va à l’essentiel sans avoir besoin de se parler énormément. Parfois Florent me demande mon avis – et inversement. J’aime bien avoir un peu de distance aussi, que cette relation privilégiée s’efface un peu pour que les autres acteurs ne soient pas gênés. Nous sommes donc assez pudiques. Sur le plateau, chacun doit faire son travail. Nous nous parlons le soir si nous en avons besoin.
»
 
- : « Comment s’est passé le tournage ? »

B. M. : « Le tournage s’est très bien passé même s’il a été difficile, dense, avec beaucoup de contraintes et de pièges. Pour celui-ci, il y avait des scènes d’assaut et de combat qui nécessitaient des effets spéciaux très contraignants, très techniques, avec un cahier des charges précis. Aller tourner dans des endroits perdus au fin fond du Maroc est une très bonne expérience qui vous laisse de vrais souvenirs. C’était plaisant, excitant. J’étais heureux du casting. Nous avions de bons acteurs et de bons techniciens. Sans la ténacité et l’engagement des techniciens, nous n’aurions pas pu faire ce film. »

- : « Le film correspond-t-il à ce que vous espériez ? »

B. M. : « Je voulais de l’émotion. J’espérais que tous ces personnages puissent me toucher malgré les choses parfois terribles qu’ils commettent qui ne donnent pas envie de s’identifier. Le film m’a bouleversé et je le crois assez fidèle à ce qui a pu se passer pendant la guerre d’Algérie. Il retrace une réalité humaine concrète.
En ce qui concerne l’alliance entre le fond et la forme, il dépasse tout ce que j’avais pu espérer. C’est un grand film de guerre avec un fond incroyable, beaucoup d’humanité et une dimension très spectaculaire. Je pense qu’il est impossible de le regarder sans se sentir impliqué.
»

- : « Savez-vous quelle place aura ce film dans votre parcours ? »

B. M. : « L’ennemi intime occupe une place particulière dans ma carrière parce que je me suis beaucoup plus impliqué que sur d’autres films. Je suis fier d’avoir été à l’origine du projet et des rencontres. Pouvoir réunir des énergies, des talents, est quelque chose de génial ! Susciter des projets comme celui-ci est une chance. Il a une résonance politique forte, un engagement. Tous ceux qui se sont engagés dans ce film y ont cru. Ils sont venus parce que le sujet parle à beaucoup de monde et parce qu’il y avait un potentiel visuel très fort dû au talent de Florent.
Je réalise qu’il était important de faire ce film et je comprends en même temps qu’on ait pu souhaiter que de telles choses restent cachées. Je ne pensais pas que je serais autant atteint. Cela a clarifié bien des choses en moi et je pense que ce sera le cas pour beaucoup.
»


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Fiche technique
Réalisateur : Florent Emilio Siri
Directeur de la photographie : Giovanni Fiore Coltellacci
Décors : William Abello
Montage : Olivier Gajan et Christophe Danilo
Musique originale : Alexandre Desplat
Premier assistant réalisateur : Michaël Viger
Directeur artistique : Dominique Carrara
Son : Antoine Deflandre, Germain Boulay et Eric Tisserand
Costumes : Mimi Lempicka
Casting : Stéphane Foenkinos A.r.d.a. et Christel Baras A.r.d.a.
Photographe de Plateau : Thibault Grabherr
Entretiens : Pascale et Gilles Legardinier
Production : Les Films du Kiosque
Producteurs :  François Kraus et Denis Pineau-Valencienne
Directeur de production : Antoine Beau

L’ennemi intime, de Patrick Rotman, le livre disponible aux éditions Points avec une préface inédite de l’auteur, le récit qui a inspiré le film et le scénario du film.

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de


remerciements à
Olivier Lebraud
logos, textes & photos © www.snd-films.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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