La consultation
La consultation documentaire de Hélène de Crécy
avec :
le docteur Luc Perino
durée : 1h31
sortie le 21 mars 2007
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Synopsis
Dans le cabinet de Luc Perino, médecin généraliste à Lyon, les consultations se succèdent. Chacun vient déposer ses douleurs, son bonheur et ses demandes, parce qu’on a plus souvent besoin d’un médecin que de médecine.
Au fil des consultations, se dessine une figure nouvelle du médecin qui n’est plus seulement devant la nécessité de soigner ou de guérir des cas cliniques mais devant le diagnostic d’une humanité angoissée, avec ses troubles, ses dysfonctionnements et ses malaises : une peinture acérée et drôle, une réflexion politique sur fond d’histoires singulières et intimes.
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Entretien avec Hélène de Crécy
- : « Filmer pour le grand écran le défilé des patients dans le cabinet médical n’est il pas un projet périlleux ? Comment avez-vous convaincu le médecin et la production de vous suivre dans pareille aventure ? »
Hélène de Crécy : « J’ai eu l’occasion de travailler dans le milieu médical et je continue par le biais de l’éthique. La question de l’éthique est une question essentielle. Foucault et Canguilhem s’interrogent sur ce que c’est qu’être en bonne santé et qu’est ce qu’un être humain, la frontière entre les deux n’étant pas si évidente. Je m’intéresse beaucoup à la philosophie mais aussi à la réalité de notre quotidien. Aujourd’hui, en occident, 90% des gens naissent dans le secteur hospitalier et 87% meurent dans les murs de l’hôpital. Alors quelle place occupe la médecine dans notre vie ? Le film est parti de là. La lecture des Carnets de santé du Dr Perino (des tranches de vie lors de consultations) m’avait bouleversée. J’ai immédiatement pris contact pour lui parler de mon projet. Ce n’était ni la vie ni le rôle du médecin qui m’importait mais ce qui se passait dans le cabinet. Je supposais que toute la vie se passait là. Réticent, le docteur Perino a cependant accepté de me rencontrer pour en discuter. Puis, il m’a autorisée à venir deux jours au cabinet en me disant : Vous vous taisez, ne prenez pas de notes. Je ne veux ni photos, ni caméras. Cette punition m’a finalement ouvert les portes de la consultation. Je suis revenue, et j’ai cette fois là, pu prendre des notes. J’ai envoyé alors un projet de scénario à la productrice qui, à sa lecture a tout de suite pensé à un vrai film de cinéma. Plutôt qu’à un reportage pour la télévision. Pour nous deux, c’était une évidence: j’avais un lieu, un personnage principal, d’autres secondaires et surtout des mini dramaturgies. Cela dit, je me doutais bien que je serai toujours sur le fil du rasoir car j’allais filmer la substantifique moelle et le coeur de la vie avec toutes ses problématiques que cela soulève lorsqu’on s’approche d’aussi près des ressentis que sont la douleur et le mal être. Le médecin n’était pas d’accord sur la présence de la caméra, il imaginait plutôt des chroniques radio. Lors du second repérage, j’ai pu faire des enregistrements audio. J’étais tellement heureuse en écoutant les cassettes que j’ai compris que le film était là, dans cet échange. Encouragée par ma productrice nous avons envoyé mon scénario au CNC qui nous a dit banco tout en émettant des réserves sur la façon de filmer cette réalité. J’ai alors lâché à Luc Perino les mots de repérage audiovisuel et ai fini par le convaincre de laisser la caméra entrer dans le champ de ses consultations. »
- : « S’immiscer dans le colloque singulier suppose de respecter des contraintes déontologiques, mais aussi d’éviter de tomber dans le voyeurisme. Jusqu’où peut on aller ? »
H. de C. : « J’avais déjà réalisé deux documentaires. L’un sur le handicap et la sexualité, l’autre sur le cancer de la prostate, avec tous les tabous que cela suscite. Ces expériences m’ont amenée à réfléchir sur l’intimité. Filmer l’intimité ne me faisait pas peur. on peut parler de tout et aborder toutes les questions tant que l’ont reste respectueux de la personne. Peu importe le lieu où se déroule le film, ce médecin est un homme parmi d’autres qui exerce sa fonction. Nous restions dans une forme de neutralité. Après six mois de repérages, j’ai tourné pendant plus de cinq semaines. Quand le patient arrivait, mon assistante et la secrétaire du médecin lui expliquaient le projet avant de lui demander son accord. »
- : « Devant certaines situations, avez-vous eu des hésitations ? »
H. de C. : « Non, c’est le propre du documentaire. A partir du moment où les patients ont donné leur accord, vous filmez, sans vous posez de question tout en sachant jusqu’où vous pouvez aller. Lisez La dimension cachée d’Edward Hall. C’est un livre remarquable qui m’a permis de voir jusqu’où on peut s’immiscer dans l’intimité des autres. Pour chaque être, chaque population, la distance par rapport à l’intime n’est pas la même. Regardez, les diverses façons de dire bonjour, de serrer la main, d’embrasser… elles varient en fonction des gens et expriment bien cette distance. Ainsi, dans ce film, il y a des personnes que j’ai filmées à plus grande distance et d’autres pour qui je me suis autorisée des plans plus serrés. Je n’ai senti aucune gêne, les patients sont ce qu’ils sont dans leur corps et leur propos, ni plus ni moins. Aller chez le médecin, c’est peut-être une mise à nu pour aller vers un mieux être. Si le patient ne dit pas la vérité, le médecin ne peut pas travailler. Au plus près du corps, c’est l’âme qui surgit, ce voyage au coeur des mots et des maux du corps, c’est ce qui je tente de montrer. Le médecin aussi doit trouver une juste distance par rapport à la douleur que lui fait ressentirson patient. Aujourd’hui, la médecine est dénaturée de sa première fonction. Dans l’esprit des patients, le médecin est à la fois assistante sociale, père, mère, infirmier, pharmacien… Parfois on lui réclame tout, sauf d’être médecin. Je me demande comment un généraliste arrive aujourd’hui à faire la part des choses et à maintenir une juste distance. Certaines séquences ne sont pas flatteuses. L’important, c’est que les patients se sont vus et revus, ils ont exprimés leur histoire et leurs souffrances et quoi qu’il se soit passé dans leur vie après le tournage, ils ne sont pas revenus sur leur décision d’y participer. Pourtant, certains ont vu leur vie changer et il pouvait être légitime qu’ils s’inquiètent de la portée du film… »
- : « Un film finalement porteur d’espoir… »
H. de C. : « Le théâtre No m’a permis de trouver la neutralité bienveillante pour pouvoir filmer des situations parfois dramatiques, mais toujours empruntes de dignité. Ce film est une maïeutique, un accouchement dans la douleur et pourtant on en sort pas démoralisé, il y a des rires, des clins d’oeil, des moments d’espoir…
C’est en cela qu’il m’importait que le spectateur puisse s’identifier tout autant au médecin qu’au patient selon les situations et les dialogues. Et d’ailleurs à la fin, ce n’est pas le médecin qui a le dernier mot. Ce film : c’est la vie, dans tout ce qu’elle revêt de chaotique et de bouleversant, d’humour et d’amour.
Seul un regard et une écoute pudiques, mais sans aucun fard, pathos ni compassion au pouvait capter la vérité qui jaillit de toutes parts de ces tranches de vies et vécus. Et si ce film est le constat d’un vrai malaise sociétal, il me semble qu’il est aussi une expérience et une leçon d’humanité que chacun est invité à vivre de lui-même en son âme et conscience. Oui si ce film ne prétend pas apporter des réponses et des solutions, il se veut un espace de prise de conscience. »
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Entretien avec le docteur Luc Perino
- : « Comment la réalisatrice vous a-t-elle convaincu de participer à ce projet et quelles ont été les conditions de tournage ? »
Docteur Luc Perino : « Hélène de Crécy avait lu mon livre Carnets de santé et m’a contacté car l’aspect médico-social de cette médecine que je décrivais l’intéressait. En tant que militant de la médecine générale, je trouvais son idée bonne, tout en étant persuadé que cela ne pourrait pas marcher. Je pensais en effet qu’aucun des patients n’accepterait de se mettre à nu devant une autre personne que son médecin, a fortiori devant une caméra. Elle m’a dit de ne pas m’inquiéter, me garantissant que la plupart des patients coopéreraient. De fait, deux tiers des patients, ont spontanément accepté d’être filmés. J’ai été surpris par l’attitude des patients qui n’ont pas changé d’un iota leur comportement face, il est vrai, à une femme extrêmement discrète derrière sa caméra. C’est pourquoi ce film est si naturel et si spontané. »
- : « Un tel projet ne risquait-il pas de se heurter aux principes de la déontologie médicale et, plus particulièrement, au secret médical ? »
Dr L. P. : « J’avais contacté le docteur Patrick Romestaing, président du conseil de l’ordre départemental du Rhône qui nous a rappelé les principes élémentaires du Code de déontologie, à savoir qu’il fallait l’accord total des patients et que ce film ne devait en rien aller à leur encontre. Respect total du patient et de la médecine étaient les vrais gardes fous du tournage.
L’ordre n’intervient en fait qu’après une plainte du patient. Donc, si nous ne respections pas le code de déontologie, c’était de notre entière responsabilité. Dans le film, nous restons dans le cadre normal de notre exercice. Ici, le droit au secret professionnel ne pose aucun problème car il est levé par les patients eux-mêmes. Avant de filmer les consultations nous remettions aux patients un texte explicite leur expliquant pourquoi nous faisions ce film, qu’il serait diffusé en salle, que leurs visages ne seraient ni floutés, ni couverts et qu’ils pourraient être vus de tout le monde. Ils étaient donc parfaitement avertis. Une fois leur accord donné, s’ils changeaient d’avis après la consultation, on ne gardait pas la séquence. »
- : « Certains patients sont-ils revenus sur leur accord après avoir vu le film ? »
Dr L. P. : « Exceptionnellement. J’ai aussi été surpris de constater que ce ne sont pas les rhino-pharyngites qui ont dit oui et les cas délicats qui ont dit non. Leur décision a été indépendante de l’intimité et de la gravité du motif de la consultation. Pour ma part, j’ai oublié la caméra mais j’ai insisté, tout au long du tournage, pour que les patients voient ou revoient les scènes et donnent ou non leur accord. Lorsque certains sont revenus sur leur décision, j’ai fait pression sur la réalisatrice pour supprimer ces séquences. L’essentiel étant le respect absolu de la volonté du patient et de sa famille. »
- : « Curieusement, on ne voit que rarement dans ce documentaire les petites maladies que traite en priorité le généraliste ? »
Dr L. P. : « Vous n’avez vu qu’une heure trente. Lorsque l’on revoit les cent cinquante heures de ruches, il y a des choses dramatiques, des mourants, des familles de mourant, des certificats de décès. On ne peut pas imaginer la douleur de ces patients issus de toutes les classes sociales et leur immense solitude face à la peur de la maladie et de la mort. J’ai appris quelque chose qui à tous nous semble paradoxal : la consultation du médecin est quelque chose d’intime, allant au coeur de la vie et qui peut être dévoilée. Il n’est pas choquant qu’on en parle et qu’on nous montre la réalité. »
- : « Certains diront que vous incarnez la médecine à l’ancienne, que vous êtes directif, paternaliste… »
Dr L. P. : « Je ne refuse aucune critique, je suis un médecin parmi tant d’autres. Je ne suis pas le portrait robot du médecin modèle. Deux critiques reviennent toujours sur les scènes de l’allaitement et de l’avortement. Certes, je n’ai pas été diplomate avec la jeune maman mais, si moi, médecin je ne fais pas la promotion du lait maternel, qui le fera ? il en va de même sur les conseils d’arrêter le tabac.
Si je ne le fais pas, alors, il faut que je change de métier. La médecine est un acte d’engagement politique. On peut évidemment critiquer l’art et la manière de la pratiquer. Pour revenir à ces deux jeunes et à leur décision d’avorter, il était de mon devoir de leur faire comprendre que ce n’est pas un acte anodin. C’est délicat mais, à ma décharge, j’ai accepté de leur signer le papier pour les orienter vers le centre d’ivg.
N’oublions pas non plus que cette démarche d’information nous est imposée par la loi. A partir du moment où vous abordez des sujets politiques, vous avez la répartition habituelle entre les 50% d’opposant et les 50% de partisans. Les critiques sont logiques. »
- : « Jusqu’où peut on montrer l’intimité de la relation médecin patient ? »
Dr L. P. : « Je peux vous garantir qu’il n’y a rien de fictif dans La consultation. Le montage est le choix de la réalisatrice. Elle a fait un film très différent de celui que j’aurais fait. Mais il montre bien le désarroi du médecin, quel que soit son expérience et sa compétence.
Dans ce documentaire je suis fidèle à mon image, un médecin qui a de la bouteille et qui reste malgré tout, désemparé par la demande médicale actuelle. Je suis l’entonnoir des maux de notre société. Je me débrouille comme je peux pour apporter une réponse de médecin expérimenté et, surtout, pour être à l’écoute des plaintes de mes patients.
C’est le b.a.-ba. de la relation médecin patient. »
Propos recueilli par Anne-Marie de Rubiana
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Fiche technique
Réalisatrice : Hélène de Crécy
Image : Hélène De Crécy et Jean-François Reverdy
Son : Suzanne Newman
Musique : Pierrick Hardy - Ed Frédéric Leibovitz Editeur
Montage : Emmanuelle Baude
Production : Arturo Mio
Avec la participation : du Cnc, du Conseil Regional d’Ile de France, du Ministère
de la Santé, de la Procirep et de Canal +
Distribution France : Ad Vitam
Presse : Matilde Incerti et Andreï Kamarowsky
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