• Tehilim

Publié le par 67-cine.gi-2007













Tehilim drame de Raphaël Nadjari









Avec :

Michael Moshonov, Limor Goldstein, Yonathan Alster, Shmuel Vilojni Eli, Ilan Dar Shmuel, Yoav Hait Aharon, Reut Lev, Dov Berkovitz, Ilanit Ben Yaakov, Naomi Tzvick et Robert Hoenig

durée : 1h45
sortie le 30 mai 2007

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Synopsis
A Jérusalem, aujourd'hui, une famille juive mène une existence ordinaire. Mais à la suite d'un accident de voiture, le père disparaît mystérieusement. Chacun tente de faire face comme il peut à cette absence, aux difficultés du quotidien. Alors que les adultes se réfugient dans le silence ou la tradition, les deux enfants, Menachem et David, essaient, à leur manière, de retrouver leur père...


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Entretien avec Raphael Nadjari
Ariel Schweitzer : « Tehilim marque une nouvelle étape dans votre travail. Le film raconte la disparition inexpliquée d'un père qui laisse sa famille faire face à elle-même. Pourquoi avoir choisi cette histoire ? »

Raphaël Nadjari : « Je cherchais une histoire simple et intime pour parler des sujets les plus complexes. Un monde bouleversé par la disparition d'un homme qui exige une réinvention de chacune des personnes qui l'ont connu. J'ai cherché au travers du réel et du quotidien d'une famille à raconter l'insurmontable, la disparition de ceux qu'on aime. Comme si quelque chose de Dieu lui-même nous avait abandonné, dévoilé notre vulnérabilité, provoqué le début d'un questionnement. Pour le retrouver. »

A. S. : « Votre cinéma est constamment en déplacement. Vous avez très peu tourné en France, beaucoup à New York, maintenant en Israël. Quel est le moteur de cette identité cosmopolite ? »

R. N. : « Chacun de ces films est une rencontre avec une communauté, avec une expérience différente. Dans mes films New Yorkais, The Shade, I am Josh Polonski's Brother, j'ai travaillé sur des familles juives d'Europe de l'Est, puis dans Appartement n°5c sur des expatriés israéliens aux États- Unis. Avanim, mon premier film israélien, est centré sur des Juifs moyen-orientaux, et Tehilim sur une communauté ashkénaze, plus européenne. Au delà d'une thématique récurrente, je cherche l'universel au travers du particulier, un mouvement de vie au delà des identités. Je ne fais pas une étude sociologique, je cherche à comprendre spontanément la dimension composite et dialectique du judaïsme, au-delà de ses appartenances communautaires. Je cherche à comprendre une humanité, et les possibilités qu'elle nous donne à découvrir, sa beauté, sa richesse mais aussi ses tabous, ses errements et sa tristesse, son univers sensible et sa place dans le monde. »

A. S. : « Tehilim est votre second film israélien. Qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer à tourner en Israël ? »

R. N. : « On filme une histoire, et c'est un récit qui nous fait habiter des lieux. L'histoire raconte la vie d'une famille juive dans la Jérusalem d'aujourd'hui. Si on regarde cela d'un point de vue de la continuité d'un travail, les films que nous avons fait traversent le monde juif, et Israël est une étape incontournable de ce monde-là. Dans Tehilim, je ne m’intéresse pas seulement à l'origine ethnique de mes personnages, mais aussi au type de judaïsme qu’ils pratiquent : celui de l'orthodoxie moderne d’Israël qui oscille entre une tradition puissante et son inscription dans le monde moderne. »

A. S. : « Avanim a été tourné à Tel-Aviv, une ville plate, côtière, le centre économique d’Israël, alors que Tehilim se déroule à Jérusalem, une ville montagneuse, le centre historique et religieux du pays. Comment avez-vous abordé ce changement ? »

R. N. : « A Tel-Aviv, on cherche à vivre le moment présent alors que l'inscription architecturale dans la montagne de Jérusalem cherche symboliquement l'éternité. A Tel-Aviv, les problématiques sont modernes, alors que Jérusalem pose des questions plus intemporelles. Ce balancement entre les lieux est une topographie d'Israël aujourd'hui : un équilibre fragile. Je voulais voir Jérusalem comme un lieu intime, pas seulement comme un lieu de grandeur et de tourment. Et c’est dans l’univers familial que j’ai essayé de retrouver le sens de la fraternité de cette ville... »

A. S. : « Tehilim a été tourné dans la rue Ha’palmakh, dans un environnement religieux spécifique. Pourquoi avoir choisi ce quartier ? »

R. N. : « Dans l'histoire de la Jérusalem moderne, Ha’palmach n'était pas à l’origine un quartier très religieux, mais plutôt le lieu de l'élite universitaire de Jérusalem. Cette rue a été pendant des années un lieu de mélange entre laïcs et religieux. Cependant, depuis quelques années, le quartier est devenu de plus en plus orthodoxe. En termes identitaires, ce fut l’une de mes découvertes les plus frappantes, car je me souvenais de la Jérusalem bigarrée où j’étais venu tant de fois, aujourd’hui entièrement modifiée. Avec les régisseurs, Meir Tetset, Tom Ashouah et mon assistant, Frédéric Lefevbre, nous avons visité des dizaines de quartiers dans l’idée de trouver un lieu intermédiaire, un entre-lieu dans la partie juive de la ville. Je cherchais donc à raconter l’histoire de Juifs intermédiaires, ceux qui font le lien entre différents modes de vie. Ce quartier était le plus proche de l’environnement de mes personnages, inscrits à la fois dans la tradition et dans la modernité. »

A. S. : « Vos acteurs sont tous remarquables. Certains sont des non professionnels dont les enfants qui incarnent les deux frères au centre du film. Comment les avez-vous choisis ? »

R. N. : « Je les ai rencontrés grâce à Amit Berlowitz, ma directrice de casting. Nous avons rencontré plusieurs enfants, et même les frères d’une vraie famille. Les acteurs que nous avons finalement choisis ne sont pas d’une même fratrie. Ce qui les rend si touchants c'est leur magnifique capacité à sentir, à être à l’écoute des autres acteurs, à reformer une vraie famille, avec un lien organique imaginaire. Il y a en Israël des acteurs extraordinaires. Je tiens à citer tous mes interprètes, et pas seulement les enfants : Michael Moshonov, Yonathan Alster, Limor Goldstein, Yohav Hait ou encore Ilan Dar et Reout Lev… Ils ont tous été d'un courage impressionnant et d'une générosité que nous avons partagés en équipe. Il faut savoir que leurs expériences respectives sont totalement différentes : certains sont des gens de théâtre, d'autres de cinéma, pour quelques-uns c’était une première expérience en tant qu’acteurs. Nous avons fait ce film comme un petit conte du quotidien, nous le vivions chaque jour comme tel... Dans cette famille recomposée au coeur du film, avec le père, la mère, les deux enfants, le grand-père et l’oncle, il fallait que tous se ressemblent, que quelque chose les unisse, mais, en même temps, que chacun garde des positions spécifiques et contradictoires. »


A. S. : « Le film était une sorte de laboratoire, un work in progress où l’improvisation a joué un rôle essentiel. Pourriez-vous parler de votre méthode de travail ? »

R. N. : « Avec Vincent Poymiro, mon co-scénariste, nous avons travaillé pendant trois ans à écrire une histoire-cadre. Nous avons élaboré des dizaines de versions qui m'ont donné une certaine maîtrise des principaux motifs du film. Ensuite, à cause de problèmes de logistique et en accord avec mes producteurs, j'ai remanié ce matériel, passant nuit après nuit avec mon assistant (y compris pendant le tournage) à revisiter chacun de ces motifs avant de les soumettre aux acteurs. Avec Sean Foley, le monteur, nous travaillions en parallèle pour évaluer les directions du film au fur et à mesure de sa réalisation. Cette écriture en train de se faire, qui s'est achevée en fait seulement au moment du montage son, a donné au matériel scénaristique une dimension ouverte et fragile. Lorsque nous avons enregistré à Tel Aviv la musique de Nathaniel Mechaly, nous avons découvert le film, toutes ses couches narratives, son véritable sens. Lorsque les acteurs entraient sur le plateau, ils n'arrivaient pas toujours à accepter que tout change en permanence. Nous nous sommes laissés emporter par chaque scène, dans une vraie relation au récit, créant un matériel composite, comme une pensée qui se recompose, une pensée en mouvement. »

A. S. : « Vous avez tourné en vidéo h.d, que vous avez cependant utilisé comme une caméra 35mm. Que vous a apporté cette technique ? »

R. N. : « Avec le chef opérateur Laurent Brunet, les techniciens et les producteurs, nous nous sommes posé une question simple. Comment travailler au mieux en termes de lumière et d'image avec de telles restrictions de budget. Nous devions travailler en vidéo mais l'histoire demandait un traitement chaleureux que la vidéo hd ne permet pas encore. Nous avons décidé donc de travailler avec des optiques traditionnelles que nous avons fait monter sur la caméra hd : la vidéo ne devenant qu'un format intermédiaire entre l'optique et le film final. Grâce à cette méthode, on retrouve l'essence de la prise de vue traditionnelle et on oublie la froideur des capteurs vidéo. »

A. S. : « Tehilim me fait penser à l’Avventura de Michelangelo Antonioni : un personnage central qui disparaît, créant le vide autour de lui et poussant les autres à remettre en question le sens de leur existence. Revendiquez-vous cette référence ? Quelles sont vos sources d’influence ? »

R. N. : « J'ai du mal à revendiquer des références, d'autant qu'on n’invente rien, on est juste traversé par des énergies. J'essaie de ne pas être trop conscient des influences. C’est évident que je suis marqué par des références littéraires, philosophiques, religieuse, mais j'essaie de ne pas trop y penser... Je crois que le film opère une sorte de dérive mentale suite à la disparition du père, dont on ne saura rien et qui nous plonge dans une tension indescriptible. Il y a beaucoup de films sur l'idée de disparition, c'est un motif très inquiétant : on est déjà plongé dans la tragédie sans pour autant avoir droit au deuil. C'est même pire. »

A. S. : « Dans le film, les personnages sont souvent placés aux bords du cadre, une mise en scène qui visualise en quelque sorte le vide qui les sépare... »

R. N. : « Le cadrage est toujours l'acteur supplémentaire du film parce qu'il crée un point de vue sur le récit. Il n'y a pas que le vide entre les personnages, il y a aussi la puissance du hors champ : une figure absente qui regarde l'histoire et que l'on ne voit pas. Ca pourrait être le père. Nous avons beaucoup travaillé la forme pour donner au plan toute sa simplicité. Les personnages essaient de combler ce vide, ils essaient comme ils peuvent de vivre au présent, mais toujours sous le regard de quelqu’un... »

A. S. : « La famille au centre du film est traversée par des tensions profondes. La mère vient d’une famille laïque, ce qui est l’une des causes de son conflit avec la famille religieuse de son mari. Le fils aîné respecte la religion chez lui, mais il abandonne sa kippa quand il sort rencontrer ses amis et sa petite amie. S’agit-il d’un microcosme de la société israélienne ? »

R. N. : « C'est toujours difficile d'illustrer une idée, on se perd souvent dans les métaphores, il faut que les spectateurs essaient d'y projeter leur propre expérience. Je préfère ne pas tout révéler et, au moyen d’une problématique simple, d’induire une réflexion. La petite histoire de la kippa de Menachem illustre évidement tout son rapport à la religion et à ses parents, un rapport qui change tout au long du film. Alma, la mère, semble ne prendre en compte que le côté matériel de la disparition de son mari, alors qu'en fait, elle est une mère aimante, totalement dévouée à ses enfants, et que c’est là son moyen d'aimer. Tous les personnages essaient de faire de cette disparition une occasion pour se réinventer meilleur. Tous ont un projet positif qui ne peut l'être entièrement tant qu'ils ne prennent pas les autres en compte. »


A. S. : « Mais c’est aussi un conflit à l’intérieur du judaïsme, entre un judaïsme tolérant dédié au questionnement dialectique de la réalité, représenté par le père, et un judaïsme plus militant, qui semble avoir une réponse à tout, représenté par le grand père et le fils aîné... »

R. N. : « Cela oppose deux judaïsmes. Je ne sais pas lequel a raison, je ne peux pas prendre le risque d'avoir trouvé la solution. On serait surpris de découvrir une vraie main tendue chez ceux qui ont l'air d'être les plus intransigeants, et une dureté chez ceux qui prennent la position de la tolérance. On ne peut plus être naïf, cela coûte trop cher de croire qu'il y a les bons et les méchants dans le monde, ce que je crois c'est qu'on a besoin des deux termes, sans quoi la dialectique ne pourrait plus fonctionner. On a besoin à la fois de l'orthodoxie et de la réforme. Tant que toutes les positions existent, le monde continue de fonctionner. On sait aussi que les positions qui veulent l’emporter sur les autres ne sont pas viables. »

A. S. : « Il est intéressant que ce soit justement l’enfant le plus jeune qui a une intuition juste, lui permettant d’appréhender l’égarement de son frère. Comme si sa vision était encore pure. »

R. N. : « C'est un personnage qui s'est créé petit à petit. Dans les différentes versions du scénario, il n’existait pas. Cet enfant comprend à la fois les énergies et les enjeux et il sait poser des questions et donner à tous matière à réflexion. Il représente une forme d'espoir au-delà des différentes positions. En termes de jeu, l'interaction des deux frères m'a donné tout ce que je cherchais, comme si leur relation était un personnage en soi. Ce rapport est marqué par un grand respect, hérité peut être de leur père, une forme de promesse que les réconciliations sont possibles. C'est la condition de Jérusalem, sa raison d'être. »

A. S. : « Votre film s’inscrit dans une tradition juive d’interrogation éthique. Vous montrez que la frontière entre le bien et le mal est parfois très fragile : on croit fermement faire le bien tout en faisant le mal... »

R. N. : « Disons que le bien et le mal sont des relatifs, pas des absolus, même si on doit toujours chercher ce qui est juste. Comme si les valeurs étaient le résultat non pas d'un conservatisme mais d'un mouvement de la pensée, qui doit toujours se réinventer pour ne pas perdre sa vraie nature. Le judaïsme nous permet de nous en rendre compte à travers le balancement entre l'étude et la pratique. Le judaïsme n'est pas une solution, c'est un environnement de questions qui exigent plus qu'un engagement. Il exige l'intelligence au-delà du fait religieux. C'est un paradoxe, et ce paradoxe est son essence. »


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Fiche technique
Réalisateur : Raphaël Nadjari
Scénario : Raphaël Nadjari et Vincent Poymiro
Image : Laurent Brunet
Musique : Nathaniel Mechaly
Décors : Dror Sarogati et Benny Afar
Montage : Sean Foley
Son : Tulli Chen et Chen Harpaz
1er assistant réalisateur : Frédéric Guillaume Lefevbre
photos : Amit Berlowitz
photos additionnelles : Sean Foley
Producteurs : Geoffroy Grison, Fred Bellaïche, Marek Rozenbaum et Itai Tamir
Coproducteur : Noah Harlan
Producteur associé : David Nadjari
Une coproduction : Bvng Productions - Transfax Films,
en association avec : Arte Cofinova 2 et 2.1 Films,
avec la participation de : Canal+, le Centre national de la cinématographie, Cinema project - Rabinovich foundation
Distributeur France : Haut et Court
Vendeur à l'étranger : Films Distribution

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à
Carolyn Martin-Occelli et Marion Tharaud
logos, textes & photos © www.hautetcourt.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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