• Le scaphandre et le papillon

Publié le par 67-cine.gi-2007













Le scaphandre et le papillon drame de Julian Schnabel






avec :
Mathieu Amalric, Emmanuelle Seigner, Marie-Josée Croze, Anne Consigny, Patrick Chesnais, Niels Arestrup, Olatz Lopez Garmendia, Jean-Pierre Cassel, Marina Hands, Max Von Sydow, Isaach de Bankolé, Emma de Caunes, Jean-Philippe Ecoffey, Gérard Watkins, Nicolas Le Riche, François Delaive, Anne Alvaro, Françoise Lebrun, Zinedine Soualem, Agathe de la Fontaine, Franck Victor, Laure de Clermont, Théo Sampaio et Fiorella Campanella


durée : 1h52
sortie le 23 mai 2007

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Synopsis
Le 8 décembre 1995, un accident vasculaire brutal a plongé Jean-Dominique Bauby, journaliste et père de deux enfants, dans un coma profond. Quand il en sortit, toutes ses fonctions motrices étaient détériorées. Atteint de ce que la médecine appelle le locked-in syndrome - littéralement : enfermé à l’intérieur de lui-même - , il ne pouvait plus bouger, parler ni même respirer sans assistance. Dans ce corps inerte, seul un œil bouge. Cet œil, devient son lien avec le monde, avec les autres, avec la vie. Sous la bulle de verre de son scaphandre où volent des papillons, il nous envoie les images d’un monde où il ne reste rien qu’un esprit à l’œuvre. Tour à tour sarcastique et désenchanté, Jean-Do n’a plus que les mots pour vivre les fragments d’une existence qu’il qualifie de mutante…


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Entretien avec Julian Schnabel
- : « Comment ce projet vous a t’il été proposé et pourquoi avez-vous eu envie de mettre en scène l’histoire de Jean-Dominique Bauby ? »

Julian Schnabel : « J’étais très proche d’un homme qui s’appelait Fred Hughes. Il travaillait pour Andy Warhol. C’était le manager de la Factory. Fred a longtemps habité rue du Cherche-Midi, au 15 rue du Cherche-Midi, où Andy Warhol aussi a séjourné. Après la mort d’Andy, Fred – qui souffrait depuis toujours d’une sclérose en plaques – est tombé malade. Son état a progressivement empiré, à tel point qu’il ne pouvait plus venir à Paris. Il restait cloîtré dans son appartement. Il habitait Lexington Avenue, à la hauteur de la 90e rue. A la fin, il ne quittait plus son lit qui était en plein milieu de l’appartement, tel Miss Havisham. Il était allongé là et je venais lui faire la lecture. Il ne pouvait plus parler. Il était alité, immobile, et me dévisageait du regard pendant que je lui faisais la lecture. Il avait un infirmier qui s’appelait Darin McCormack. C’est cet homme, Darin McCormack, qui m’a donné le livre de Jean-Dominique Bauby, Le Scaphandre et le papillon, pour que je le lise à Fred. J’avais toujours voulu faire un film sur Fred parce qu’il a eu une vie passionnante et soudain, il s’est retrouvé prisonnier de son corps. Puis, ma mère est morte à l’âge de 89 ans, il y a quelques années. Et mon père est mort lui aussi. Ils étaient mariés depuis 60 ans. Mon père souffrait d’un cancer depuis l’âge de 83 ans, et il en avait presque 92. Il avait réussi à tenir la maladie en échec tant qu’il s’occupait de ma mère. Mais maintenant qu’elle n’était plus là…
Je vivais dans mon atelier, là où je peins. A Long Island. Mon père habitait là aussi. Il y a quelques années, c’était Noël, je devais emmener mes enfants en vacances. J’avais besoin de quelqu’un pour veiller sur mon père parce qu’il ne pouvait pas nous accompagner. J’ai appelé Darin McCormack, l’infirmier qui s’était occupé de Fred. Il est venu à la maison et il était là, avec mon père, quand un scénario est arrivé de la part de Kathy Kennedy. C’était Le Scaphandre et le papillon. Plus tard, je l’ai lu. Mon père avait très peur de la mort. Je me suis dit que peut-être je pourrais l’aider à vaincre sa peur. C’est la seule fois où je n’ai rien pu faire pour lui. J’ai réussi à éloigner la peur pendant quelque temps, mais je ne suis pas parvenu à l’en débarrasser complètement. Il était terrifié parce qu’il n’avait jamais été malade auparavant. Par ailleurs, j’avais écrit un scénario pour le film
Le Parfum, qui n’a jamais été utilisé. Bernd Eichinger, le producteur qui détenait les droits du livre, n’avait pas du tout la même conception du film. Mais il existe un point commun entre Grenouille et Jean-Dominique Bauby : dans les deux histoires, le public est le confident du personnage principal. On sait ce qui se passe dans la tête de Grenouille, comme on sait ce qui se passe dans la tête de Jean-Do. Quand j’ai commencé à lire Le Scaphandre et le Papillon, j’ai retrouvé le même principe. J’ai pu mettre dans ce film beaucoup de choses que j’avais l’intention de mettre dans Le Parfum. Je jouissais d’une grande liberté : dans un cas, la liberté de l’odorat de Grenouille, dans l’autre la liberté d’imagination de Jean-Do. Je pouvais voyager dans le temps, je pouvais faire ce qui me chantait. Pour moi, en tant que réalisateur et artiste, c’était une formidable occasion de structurer le film comme je le souhaitais. De créer ma propre structure, mon propre langage. Si j’arrivais à pénétrer dans son univers, je trouverais des solutions pour le représenter au fur et à mesure. Je savais qu’il fallait que je tourne ce film en France, en français, dans le véritable hôpital. Si je n’avais pas pu tourner dans l’hôpital où il était, je ne crois pas que j’aurais obtenu la même émotion. Et l’histoire, même si elle est universelle, est racontée par un Français. Je voulais qu’on entende cette voix. Il fallait que j’y croie moi-même.
Alors, je suis allé à Berck, j’ai visité l’hôpital, les gens ont été extrêmement gentils là-bas, ils voulaient vraiment que je réalise le film là-bas. Personne ne voulait que je tourne en français. Le seul qui souhaitait vraiment que je tourne en français, c’était Jon Kilik. A l’origine, Ron Harwood a écrit le scénario en anglais, mais j’ai continué à le modifier avec les acteurs en situation, au fur et à mesure que j’apprenais des choses de la bouche des personnages de l’histoire : Claude Mendibil, Anne-Marie Perrier ou Bernard Chapuis…
»

- : « Comment avez-vous découvert Mathieu Amalric pour le rôle de Jean-Dominique Bauby ? »

J. S. : « Au départ, Johnny Depp était censé faire le film avec moi. Tracy Jacobs, l’agent de Johnny, avait déjà pris contact avec Kathy Kennedy. Johnny voulait faire le film avec moi parce que nous aimons travailler ensemble. Il aurait parlé français. Je l’aurais entouré de Français. Puis, il a été très pris par le tournage de Pirates des Caraïbes, et ça ne s’est pas fait. Ensuite, Kathy Kennedy a songé à Eric Bana et à d’autres acteurs américains. Sauf qu’il y a quelques années, je faisais partie du jury au festival de San Sebastian et j’avais vu ce film, Fin août début septembre. On a décerné le prix de la meilleure interprétation féminine à Jeanne Balibar. Mais je me souvenais surtout de Mathieu Amalric. Je me suis tout de suite dit : Je sais qu’il peut jouer ce rôle. J’ai parlé de Mathieu à Kathy, elle ne voyait pas du tout qui c’était. Puis le temps a passé. Il s’est bien écoulé deux ou trois ans. Ensuite, ils ont tourné Munich et Kathy rencontre ce jeune acteur, Mathieu Amalric. Elle revient de France : Tu sais, j’ai rencontré un acteur français qui est vraiment génial. Il serait très bien dans le rôle. Avec lui, on peut tourner en français. Je lui demande comment il s’appelle. Mathieu Amalric. C’est lui que je voulais ! Je lui ai téléphoné. On se connaissait plus ou moins parce qu’Olivier Assayas et Jeanne Balibar étaient venus me voir à New York quelques années auparavant. Mathieu n’avait pas pu faire le déplacement cette fois-là, mais il savait qui j’étais et je savais qui il était. Peu de temps après, il est venu pour Thanksgiving et nous avons commencé à lire le scénario ensemble.
Si je tournais le film en français, je ne voulais pas me comporter comme un touriste. Mon français n’est pas parfait mais je connaîtrais mon texte ! J’ai passé les scènes en revue avec chacun des acteurs. Je leur ai demandé :
Que dirais-tu dans telle ou telle situation ? Parce que les mots doivent sortir de leur bouche à eux. En quelque sorte, j’ai réécrit le scénario avec tous ceux qui jouent dans le film. Et j’ai découvert des choses. Par exemple, Claude Mendibil a raconté à Anne Consigny que lorsqu’elle est entrée pour la première fois dans la chambre de Jean-Do, il lui a dit Pas de panique. Quand Anne est arrivée pour jouer cette scène, elle me l’a rapporté. Là, j’ai décidé de laisser de côté le scénario et d’inclure ce détail. Une autre façon de procéder, c’est d’appréhender les choses comme un peintre. Je suis dans un lieu et je réagis à ce qui m’entoure. J’avais remarqué que la mer se retirait de 500 mètres chaque jour, puis qu’elle remontait. Il y avait un ponton qui disparaissait sous l’eau à marée haute et qui réapparaissait à marée basse. Ça m’a donné une idée. Il y a une photo de moi où je porte Mathieu sur les épaules et je le hisse sur le ponton avec son fauteuil roulant. Dans l’eau. Ce plan n’était pas dans le scénario. Même chose pour la scène où un infirmier tient Mathieu dans les bras à la piscine. J’ai vu la piscine et je me suis dit Allez, mettez-le dans l’eau On dirait une pietà. Daniel, l’homme qui joue dans cette scène, était le kiné de Jean-Do. »


- : « Quelle relation avez-vous entretenue avec le livre en tant que tel ? »

J. S. : « Je me suis beaucoup replongé dans le livre. J’aimais beaucoup l’image de Jean-Do, les yeux rivés au plafond dans la piscine. Mais je voulais trouver un texte pour accompagner cette image. Et j’ai choisi l’extrait de la cocotte-minute. Je l’ai collé par-dessus. Alors soudain, cette autre partie avec l’impératrice Eugénie se matérialise. Vous savez, quand il dit Merde, c’est un rêve ! Elle apparaît et le rêve continue, il y a comme un double sens. Elle l’embrasse comme s’il était debout et soudain boum ! Le revoilà dans son fauteuil. C’est là qu’il dit : Lorsqu’on émerge des brumes du coma, les rêves n’ont pas le loisir de s’évaporer. Je trouvais que la frontière entre les deux mondes était de plus en plus ténue. On ne peut plus différencier le rêve de la réalité. C’est comme ça, quand on est malade et à l’agonie. C’était comme ça avec mon père. Mon père commençait à délirer. J’ai demandé à Darin McCormack de prendre en note ce qu’il disait. Un jour ou l’autre, on tombera tous malade, on connaîtra tous cette situation. On sera d’abord le centre d’intérêt avant de devenir invisible. Je pense que tout le monde est concerné par cette expérience : qu’on connaisse une personne malade, qu’on soit malade soi-même ou qu’on vieillisse. C’est la conscience qui est en jeu. D’une certaine manière, voilà ce que disait Jean-Do : Quand j’étais en bonne santé, je n’étais pas vivant. Je n’étais pas là, j’étais superficiel. Mais quand je suis revenu du coma, avec le point de vue du papillon, je n’étais plus que ce je, je suis revenu à la vie sous la seule forme de ce je. A partir de là, il a pu devenir un grand écrivain. »

- : « Considérez-vous que l’histoire de Jean-Dominique Bauby puisse être comparée à une vie d’artiste ? »

J. S. : « Oui, bien sûr. Parce que c’est l’écriture qui l’a sauvé. Sa vie intérieure s’est animée quand il a commencé à écrire le livre. C’est donc un processus de création artistique. Le livre lui a donné une raison d’être, lui a redonné vie, il a redonné vie à sa famille. Grâce au livre, sa famille a le sentiment qu’il est encore en vie. Ça leur a permis de surmonter leur chagrin. »

- : « Dans votre art, peinture et cinéma, quelle est la place de l’écriture ? »

J. S. : « Faire des films, c’est réécrire, sans cesse. Le montage est une réécriture. Quand je peins, je n’interprète pas, je ne transfère rien. Je peins et c’est tout. Il n’y a pas de processus de traduction. Quand on écrit, si l’on écrit un roman par exemple, il n’y a pas de traduction. Mais si on écrit quelque chose avec l’intention de l’adapter au cinéma, alors on traduit le texte dans une autre forme. Une fois le texte adapté, on peut réagir comme si on peignait. »

- : « L’image floue et colorée, le décadrage, le montage avec les images d’archives, la caméra subjective puis extérieure, sont-ils des techniques proches de votre travail de peintre ? »

J. S. : « Ce n’est pas du décadrage, mais du cadrage. J’avais découvert sur le tournage de mon précédent film que souvent, quand le cameraman posait sa caméra, je voyais des choses intéressantes sur l’écran de contrôle. Alors, je lui disais : Tu peux poser ta caméra ? Je veux que le film ressemble à ça. Je n’aime pas les gens qui composent des plans. Je veux faire ce qui sert le film. Jean-Do ne roulait pas en décapotable. Moi, je choisis de lui faire conduire une décapotable parce que je veux voir Paris, je veux voir les arbres. On a aussi utilisé la bande-originale des 400 Coups. Si on met le film en noir et blanc et qu’on regarde les immeubles, on pense au générique des 400 Coups. Ça me plaît. Je m’amuse beaucoup. Dans ce film, le héros ne peut pas bouger. Quand quelqu’un vous parle, vous n’êtes pas obligé de le regarder. Lui, il n’a que son oeil. S’il ne veut pas entendre ce qu’on lui dit, il n’a qu’à détourner le regard. Ensuite, je me suis dit : Bon, si je veux, je peux couper les têtes puisqu’il ne les voit pas. En fait, je pouvais faire tout ce que je voulais. Cela m’a donné une très grande liberté. »

- : « Comment s’est déroulé le travail sur l’image, en collaboration avec le directeur de la photographie? Ce film nécessitait un traitement de l’image particulier. »

J. S. : « En général, je leur dis ce que je veux et ils pensent que je suis cinglé. Par exemple, j’ai enlevé mes lunettes et je les ai mises sur l’objectif. Si on bouge comme ça, vous voyez, c’est net puis ça ne l’est plus. Les lunettes sur la caméra. Pour la scène où l’oeil est recousu, j’ai mis du latex sur l’objectif et je l’ai cousu par-dessus. Janusz Kaminski a fait un travail remarquable, c’est un grand directeur de la photographie, il est inspiré. Quant au cadreur, j’ai dû le forcer à faire certaines choses mais il a beaucoup de talent, il avait seulement besoin de croire en moi. J’ai demandé aux gens de faire des choses qu’ils n’avaient jamais faites auparavant. Le traitement de l’image est particulier pour traduire une vie intérieure. Pour sublimer la vie intérieure. J’ai utilisé un objectif spécial – le swing and tilt – qui permet d’apporter des corrections à l’image. Dans une certaine zone, l’image est nette, dans l’autre, elle est floue. Du coup, cela donne l’impression que le film a une texture, un corps, une peau. L’écran est une peau. C’est comme ça que j’envisage la peinture. J’ai conçu la chambre. J’ai choisi la couleur. Je l’ai construite avec la courbure au plafond et dans le coin, la lumière fluorescente. Tout le paysage est concentré là. Certains contemplent le monde, d’autres contemplent le coin de leur chambre. Et le monde entier peut être contenu dans le coin d’une chambre. Ou en soi. »


- : « Pour la suite du casting, en dehors de Mathieu Amalric, comment avez-vous choisi l’ensemble des acteurs, tous français ? »

J. S. : « J’adore Emmanuelle Seigner dans Lunes de fiel. C’était la meilleure interprétation en France, cette année-là. J’ai toujours trouvé qu’elle était sous-estimée. J’adore Marie-Josée Croze dans Les Invasions barbares – elle était géniale aussi dans Munich. J’ai découvert Niels Arestrup dans De battre mon coeur s’est arrêté et je me suis dit : il faut que ce type soit dans mon film. J’avais vu Je ne suis pas là pour être aimé avec Patrick Chesnais et Anne Consigny. Et je les voulais aussi tous les deux dans le film. Quand j’ai rencontré Marina Hands, je l’ai trouvée adorable et j’ai tout de suite eu envie de la faire travailler dans un registre différent de ce qu’elle fait habituellement. J’ai eu une chance inouïe que Max Von Sydow accepte de tourner avec moi. Il est magnifique dans le film. Il joue un homme plus vieux que son âge. Il n’est pas si vieux que ça. J’ai eu également la chance d’avoir Jean-Pierre Cassel qui joue deux rôles dans le film. Je pense beaucoup à lui. Tout le monde a été adorable et prêt à coopérer, même ceux qui n’avaient que de petits rôles. Je trouvais que je ne leur offrais pas assez : pas assez de temps, pas assez d’espace dans le film. Emma de Caunes, Anne Alvaro et Zinedine Soualem. Ils ont tous été extrêmement généreux avec moi. Ou encore Georges, le serveur de la Maison du Caviar, qui joue l’un des employés de France Telecom. »

- : « L’hôpital maritime de Berck est un décor de cinéma extraordinaire. Il était selon vous inenvisageable de tourner ailleurs que sur les lieux réels de l’histoire. Avez-vous pris du plaisir à tourner en France ? »

J. S. : « Je trouve que l’endroit ressemble à un décor d’Antonioni. Quand j’ai vu la terrasse, ça m’a rappelé L’Aventura et tous les films d’Antonioni. L’horizontalité de l’endroit me plaisait. Je réfléchissais à la façon dont Jean-Do serait filmé. J’ai adoré tourner en France. J’y ai passé une année superbe et les Français ont été adorables avec moi. J’adore manger au restaurant Le Duc et chez Napolitano. Il y a une scène qui se passe au restaurant Le Duc. Je voulais trouver le meilleur restaurant de fruits de mer de Paris. J’ai essayé de ne pas être un touriste.
Aujourd’hui, j’ai 55 ans. Quand j’étais plus jeune et que je vivais en France, je voulais des tas de choses, je voulais exposer mes toiles dans une galerie. Je voulais rencontrer des gens. Quand je suis revenu cette fois-ci, je ne voulais plus rien. Je suis revenu comme Rip Van Winckle, comme si j’avais dormi pendant 20 ans et que je retournais sur les lieux où j’avais vécu. J’ai retrouvé ma maison. Le type du restaurant d’en face était à peine plus vieux. Tout était presque comme avant. J’ai eu l’impression d’être un fantôme. Mais un fantôme qui était le bienvenu. Quand on peint, on ne rencontre pas tous les jours des gens avec qui lier des relations approfondies. Les gens connaissent votre travail et sont des amis. Mais sur ce film, j’ai noué des relations avec des gens qui comptent énormément pour moi et qui sont admirables. C’est pour ça que j’aime faire des films, j’imagine. Moi, je ne fais pas ça tout le temps, mon dernier film remonte à 1999. Je suis resté très ami avec Javier Bardem et les gens qui ont travaillé avec moi là-bas. Avec Benicio Del Toro aussi, qui jouait dans
Basquiat. J’adore les techniciens avec lesquels j’ai travaillé. J’ai surnommé l’un d’eux Tarkovsky, un électricien, et un autre Artaud. J’ai eu des collaborateurs merveilleux sur le tournage comme Michel Eric avec qui je suis devenu très proche. »

- : « La bande-originale joue, comme dans tous vos films, un rôle essentiel. Elle correspond à vos goûts personnels et donne une connotation modern-punk au film. »

J. S. : « J’aime Bach et les Dirtbombs. Dans ce film, il y a la musique de Nelson Riddle, Lolita, la musique des 400 coups, Nino Rota aussi, et des morceaux de U2 ou de Tom Waits. J’écoute en boucle le dernier album de Tom, Orphans. Je choisis ce que j’aime et qui convient à la scène. Paul Cantelon a composé les parties au piano pour le film. C’était un enfant prodige avant d’être renversé par une voiture à l’âge de 12 ans. Il a souffert d’amnésie totale jusqu’à 17 ans. A cet âge-là, il a commencé à recouvrer la mémoire et s’est remis au piano. Un jour, il joue un morceau à sa mère, pianiste elle aussi. Ecoute, Maman, je viens de composer ça. C’était du Bach ! »

- : « Le générique est composé de radiographies. Pour quelle raison ? »

J. S. : « Cela signifie que nous sommes tous prisonniers de notre corps. Il y a un autre niveau de conscience : nous co-existons avec des choses auxquelles nous ne pensons jamais. Et nous sommes tous des sujets d’étude, comme lui. Nous avons tous nos radiographies. Les radios du générique viennent d’un bâtiment qui se trouve à une centaine de mètres de l’hôpital. Ce bâtiment est resté fermé pendant des années. Il appartenait au Docteur Ménard, cadeau que lui avait fait, au début du XXe siècle, un homme richissime dont le fils était à l’hôpital. La petite-fille, ou plutôt la femme du petit-fils de Ménard, qui a écrit un livre sur l’hôpital, m’a emmené là-bas quand j’ai terminé, avec deux semaines d’avance, le tournage. Là, c’était comme entrer dans la demeure de Miss Havisham. J’ai trouvé ces radiographies poussiéreuses, cela ressemblait à un tableau. En fait, je vais peindre tout ça. J’aimais bien le lettrage sur les radios. »

- : « Sur une photo que lui donne son père, Jean-Dominique Bauby est représenté enfant par Elvis Polanski. Cette photo est également l’affiche du film. »

J. S. : « Elvis Polanski est un chanteur et un danseur né. Dans la voiture avec moi, il chantait Singing in the rain. Je lui ai demandé de me le chanter en français. Je me suis dit que montrer cet enfant en train de chanter et de danser rendait encore plus tragique la suite, quand on le voit adulte, complètement paralysé. Elvis est formidable. Je l’adore. »

- : « Quel rapport entretenez-vous à la spiritualité ? Dans le livre, Jean-Dominique Bauby semble enclin à croire en une multitude de divinités (on prie pour lui dans toutes les religions du monde), lui qui était plutôt athée. Je pense notamment à la scène de Lourdes. »

J. S. : « La religion organisée ne m’intéresse pas, c’est un fait. Mais si c’est un soutien pour les gens, ça ne me dérange pas. J’aimerais bien m’intéresser à la spiritualité. J’aimerais croire. Je crois au bien, je crois en mon père, je crois en moi, et aussi en mes propres limites. Je crois en la bonté. Je crois que l’on devrait traiter les autres avec plus d’attention. Ce qui ressort du film, c’est l’empathie dont les gens ont fait preuve à l’égard de Jean-Do, qui prouve que l’on peut être bon les uns pour les autres. Ça me plaît. Je crois que les gens peuvent être bons, patients et généreux comme ces femmes qui lui ont donné leur temps et ont sincèrement essayé de l’aider. Elles se sont investies dans cette mission, elles n’ont pas pensé à elles et je trouve ça bien. C’est ça, la spiritualité. »


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Fiche technique
Réalisation : Julian Schnabel
Scénario : Ronald Harwood
D’après l’oeuvre originale de : Jean-Dominique Bauby “Le Scaphandre et le Papillon” Éditions Robert Laffont (1997)
Produit par : Kathleen Kennedy et Jon Kilik
Producteur associé : Léonard Glowinski
Directeur de la photographie : Janusz Kaminski
Montage : Juliette Welfing
Décors : Michel Eric et Laurent Ott
Création titres et crédits générique : Julian Schnabel
Costumes : Olivier Beriot
Son : Jean-Paul Mugel, Francis Wargnier et Dominique Gaborieau
Musique originale : Paul Cantelon
Producteurs exécutifs : Pierre Grunstein et Jim Lemley
Directeur de production : François-Xavier Decraene
En coproduction avec : France 3 Cinema et Crrav Nord-Pas de Calais
Avec le soutien de : la Région Nord-Pas de Calais
Avec la participation de : Canal + et de Cinécinéma
En association avec : Banque Populaire Images 7
En association avec : The Kennedy / Marshall Company et Jon Kilik

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présentation réalisée avec l'aimable autorisation de

remerciements à
Claire Cortes
logos & textes © www.pathedistribution.com
photos © Etienne George

Publié dans PRÉSENTATIONS

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