Très bien, merci
Très bien, merci comédie dramatique de Emmanuelle Cuau
avec :
Gilbert Melki, Sandrine Kiberlain, Olivier Cruveiller, Christophe Odent, Nathalie Akoun-Cruveiller, Frédéric Pierrot, Gregory Gadebois, Agnès Caffin, Dimitri Rataud, Camille Japy, Emmanuel Salinger, David Migeot, Patrick Dross et Emilie Chesnais
durée : 1h40
sortie le 25 avril 2007
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Alex, comptable, et Béatrice, chauffeur de taxi, forment un couple sans histoires.
Mais un soir, Alex se mêle au travail de la police lors d’un contrôle d’identité. Un engrenage implacable et absurde se met alors en marche : il se retrouve au poste, au chômage, et en clinique psychiatrique.
Sauf que les fous, ici, ne sont pas ceux qu’on croit…
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Entretien avec Emmanuelle Cuau
Yann Gonzales : « Très bien, merci est-il né d’une expérience personnelle ? »
Emmanuelle Cuau : « Plutôt d’un constat. En 2002, quasiment du jour au lendemain, la police s’est démultipliée de façon flagrante. J’en voyais de plus en plus : des policiers à rollers, en voiture, à vélo, en fourgon, à pied. J’ai été très frappée par cela, ainsi que par des contrôles d’identité totalement arbitraires auxquels j’ai pu assister.
Il faut savoir que depuis cette date, les gardes à vue ont augmenté de cinquante sept pour cent, la police a des quotas à respecter, et ils doivent obéir.
Octave, dans La Règle du jeu de Renoir, dit à un moment donné : Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons. Dans mon film, Alex a ses raisons, il a le droit d’assister au contrôle de la police. La police, quant à elle, a le droit de le tutoyer et de l’embarquer au poste. Elle a également le droit de l’emmener à l’hôpital. Le médecin a le droit de faire signer une Hdt (Hospitalisation à la Demande d’un Tiers) à Béatrice, etc.
Quand chacun est dans son droit, que se passe-t-il ? Je n’ai pas de réponse, mais je trouve la question très inquiétante. »
Y. G. : « Une partie du film se déroule en clinique psychiatrique… »
E. C. : « J’ai connu quelqu’un qui a passé une grande partie de sa vie en hôpital psychiatrique. Elle me disait Je ne suis pas folle, mais je ne suis pas adaptée à ce monde. Et je la comprenais, c’est nous qui sommes fous de pouvoir nous adapter à ce monde-là.
J’allais régulièrement voir cette personne dans une clinique où elle était hospitalisée. Là-bas, j’ai rencontré un homme, Moïse. Sa famille l’avait fait venir d’Israël. Arrivé à l’aéroport de Roissy, ses parents l’attendaient avec une ambulance, et l’ont fait hospitaliser d’office dans cette clinique psychiatrique. Je parlais souvent avec Moïse, et j’ai voulu réaliser un documentaire sur lui. Mais le projet était compliqué. Dès qu’on approche le terrain de la psychiatrie, les institutions prennent peur. J’ai alors décidé de partir de cette histoire, et de ce que je voyais régulièrement dans cette clinique, pour écrire une fiction. »
Y. G. : « La façon dont les autorités et la société s’emparent d’alex est presque kafkaïenne. »
E. C. : « Oui, mais pas tout à fait. Kafka, c’est l’irrémédiable, l’absurdité jusqu’au bout, alors que dans le film, il y a une césure, une cassure, au moment où Alex retrouve un travail par un biais qui contourne la loi. Mais c’est vrai qu’au début du film, l’engrenage de la société, l’engrenage administratif, peut devenir, l’air de rien, subrepticement, l’engrenage de la folie. Lorsque la directrice de la clinique dit à Béatrice : Votre mari a besoin de soins, je ne peux pas vous en dire plus, on peut penser à l’arbitraire de l’arrestation de Joseph K. au début du Procès de Kafka. Quand Joseph K. tente de comprendre la situation, les huissiers lui rétorquent : Parce que la loi est ainsi faite. Pour quelle raison cet homme est-il arrêté ? Simplement parce qu’il existe. Prouver que l’on existe, c’est un procès sans fin. »
Y. G. : « Malgré ce qu’il lui arrive, Alex reste assez léger, du moins dans la première partie du film. »
E. C. : « Le gros coup de massue et de dépression lui tombe dessus lorsqu’il sort de l’hôpital. C’est comme les médicaments à effet retard. Quand il est dans la clinique psychiatrique, il se dit : Finalement, ce n’est pas plus mal, on me trouvait trop agité. Alors qu’il demandait simplement à faire valoir ses droits. »
Y. G. : « On ressent une harmonie rare chez le couple Alex / Béatrice, qui à eux deux forment comme un petit laboratoire de résistance. »
E. C. : « Ce n’est pas une histoire d’amour, le sujet n’est pas là, et j’ai souvent dit à Sandrine et Gilbert : Vous vivez ensemble, vous êtes mariés, vous vous aimez, c’est tout. Je ne voulais pas que le film se termine avec un personnage qui divorce de sa femme et qui se retrouve dans la rue, même si actuellement, en France, une personne sur deux a peur de devenir sdf. »
Y. G. : « Avec un sujet pareil, le film aurait pu être pesant, mais il distille un humour à froid assez réjouissant. »
E. C. : « Je ne suis pas une grande rigolote, et je pensais avoir écrit quelque chose d’assez grave. Mais quand Gilbert Melki a lu le scénario pour la première fois, il a beaucoup ri. Je suis tombée des nues. Les situations et l’engrenage dans lequel Alex se retrouve étaient selon lui tellement absurdes qu’ils en devenaient drôles.
Une complicité s’est établie entre Sandrine et Gilbert dès le premier jour de tournage. Ils ont su créer un ton pour le film. C’était la première fois qu’ils travaillaient ensemble, et ils se sont entendus à merveille. On a pourtant tourné dans des conditions difficiles : en six semaines à peine, en plein hiver, avec la nuit qui tombait à 15 heures, etc. Malgré cela, Sandrine et Gilbert arrivaient tous les matins sur le plateau en faisant des blagues, heureux d’être là et de passer la journée ensemble. »
Y. G. : « Comment avez-vous dirigé vos acteurs ? »
E. C. : « Je ne les ai pas vraiment dirigés. Je suis d’accord avec Billy Wilder qui dit que la direction d’acteurs, c’est le choix des comédiens. Nous avons eu peu de temps pour nous voir avant le début du tournage, nous n’avons pas fait de répétitions. Ce qui était important, c’était qu’il y ait une sorte d’accord moral, que nous fassions tous les trois le même film. Pour moi, à partir de là, une grande partie du travail était accomplie. Par ailleurs, Sandrine et Gilbert ont une conscience très forte de ce qui se passe en ce moment. »
Y. G. : « Vous vous êtes documentée sur la vie en entreprise avant de tourner ? »
E. C. : « Je n’ai jamais travaillé en entreprise, mais j’ai des échos d’amis qui y travaillent. Je suis juste allée sur Internet pour voir comment on préparait un entretien d’embauche, et je suis tombée sur des questions hallucinantes, dont certaines sont restées dans le film. Des questions qui ne relèvent de rien, comme : Que pensez-vous pouvoir apporter à notre entreprise ?. Ce à quoi Alex réplique, dans le film : Et vous, que pensez-vous que votre entreprise puisse m’apporter ?. Une réponse saine et logique ! »
Y. G. : « Béatrice est chauffeur de taxi, soit le métier idéal pour prendre le pouls d’une ville et de la société en général. »
E. C. : « Quand je prends le taxi, soit le chauffeur parle beaucoup, soit c’est moi qui l’abreuve de paroles, soit c’est le silence. Le taxi peut devenir, le temps d’un trajet, l’occasion de s’offrir une petite psychanalyse.
Au départ, Béatrice n’était pas chauffeur de taxi, elle faisait un boulot de traductrice à domicile. Mais en lisant le scénario, un ami m’a demandé : Où est la normalité, là-dedans ?. Mais dans ce monde-là, qu’est-ce que la normalité ? Qui peut dire : Il est normal, Elle n’est pas normale. Quels sont les repères ? Pour essayer d’en avoir quelques uns, Béatrice est alors devenue chauffeur de taxi, afin d’être en contact avec les gens de la rue, les gens normaux. »
Y. G. : « Le film se distingue par une absence quasi-totale de musique. C’est une volonté délibérée ? »
E. C. : « Quand j’écrivais, on me demandait Tu as pensé à la musique ?, tout le monde y allait de ses suggestions, mais je n’étais pas sûre d’en vouloir. On aurait pu composer des thèmes pour tout : le taxi, l’hôpital, la prison… Au fur et à mesure du montage, je voyais le film se construire, et je ne voyais toujours pas la nécessité de mettre de la musique. J’ai quand même utilisé La Symphonie des jouets de Léopold Mozart lors du générique de fin. Dans le film, tous les personnages, des policiers aux internes, sont comme des automates, ils font leur travail comme on leur dit de le faire. Cette musique de Mozart m’évoque des marionnettes qu’on manipule, un tour de clef qu’on met dans un jouet ancien et qui détermine ses actions. »
Y. G. : « Si vous deviez résumer votre film en une phrase ? »
E. C. : « Je dirais que c’est un film de citoyenne, tout simplement. »
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Fiche technique
Réalisation : Emmanuelle Cuau
Scénario et dialogues : Emmanuelle Cuau et Agnès Caffin
Directeur de la photographie : Bruno de Keyzer, B.S.C.
Chef monteur son & sons additionnels : Emmanuel Soland
Mixage : Gérard Rousseau
Chef monteuse image : Jackie Bastide
Chef décoratrice : Véronique Barneoud
Chef costumière : Dorothée Lissac
Chef maquilleuse : Silvia Carissoli
Régisseur général : Maud Quiffet
Direction de production : Philippe Rey
Avec la participation du : Centre National de la Cinématographie
Cinecinéma
Canal +
Ce film a reçu les soutiens de : l’association française des cinémas d’art et d’essai et de l’association du cinéma indépendant pour sa diffusion
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